En commission des lois, l’Assemblée nationale a validé la proposition de loi interdisant le mariage avec un sans-papiers en France. Un texte défendu au nom de la “protection des maires” et du “bon sens”, mais dénoncé par l’opposition comme attentatoire aux libertés fondamentales.
C’est un tournant politique et sociétal, en commission des lois, les députés ont approuvé le lundi 16 juin une proposition visant à interdire les mariages avec des personnes en situation irrégulière sur le territoire national. Ce texte, porté par la droite et le centre-droit, s’inscrit dans la continuité du vote du Sénat. Il sera débattu en séance plénière le 26 juin prochain, dans une Assemblée déjà polarisée sur les questions migratoires.
Ce qui relevait encore du débat juridique et moral il y a quelques semaines devient aujourd’hui une réalité politique, la France s’apprête à interdire le mariage entre un citoyen français et une personne en situation irrégulière. Cette proposition, adoptée en commission à l’Assemblée nationale, bouleverse un droit fondamental longtemps protégé, celui de se marier librement. Derrière l’argument affiché de protection des maires et de lutte contre les mariages dits “frauduleux”, c’est toute une conception des libertés privées qui se trouve remise en cause.
Une mesure conçue pour « protéger les maires »
Le texte est limpide, une personne qui ne dispose pas d’un titre de séjour régulier sur le territoire français ne pourra plus se marier. Aucune exception, aucun recours, aucune modulation. Il ne s’agit pas d’une simple mesure administrative mais d’un changement profond du Code civil. Le mariage, pilier symbolique de l’engagement personnel, devient ainsi conditionné à un statut administratif.
Pour les officiers d’état civil, notamment les maires, cette évolution est présentée comme une avancée. Jusqu’ici, ils n’avaient que peu de marge de manœuvre en cas de soupçon de mariage de complaisance. Désormais, le simple constat d’irrégularité suffira à refuser l’union. Une manière, selon les partisans du texte, de renforcer les outils de lutte contre les fraudes, sans que les élus locaux ne soient exposés à des pressions ou à des procédures incertaines.
Selon Éric Michoux (UDR), rapporteur de la proposition, il s’agit avant tout de décharger les maires d’une responsabilité délicate. Actuellement, face à un mariage suspect, un officier d’état civil tente de “sursis” et peut saisir le procureur, mais ne dispose pas d’outil clair lui permettant de s’opposer formellement à l’union. Le nouvel article 143‑1 du Code civil proposé stipule, « le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national » Objectif affiché, mettre fin à ce que certains qualifient de “détournement de la loi” par des mariages utilisés comme voie d’accès à la régularisation.
Interdiction du mariage avec un sans-papiers en France, des soutiens et des critiques
Le président Emmanuel Macron avait déjà qualifié ce débat comme relevant “du bon sens”, suite à une polémique impliquant le maire de Béziers. Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, ministres de la Justice et de l’Intérieur, ont exprimé leur soutien au texte, soulignant la nécessité de donner aux maires des moyens solides pour refuser un mariage frauduleux. L’argument est simple, le mariage ne doit pas devenir un “levier détourné” pour régulariser une situation illégale. À leurs yeux, cette mesure s’inscrit dans une logique de bon sens, et répond à une attente exprimée par certains élus locaux.
À gauche, la riposte est immédiate et brutale. De nombreux parlementaires et associations dénoncent une atteinte directe à la liberté individuelle. Ce texte, estiment-ils, vise une catégorie spécifique de personnes déjà fragilisées et risque de les priver d’un droit fondamental uniquement en raison de leur statut migratoire
La socialiste Céline Thiébault-Martinez parle de “nouvelle dérive de la droite”, tandis que la députée écologiste Léa Balage El Mariky accuse le texte de porter atteinte aux libertés individuelles. Même au sein de la majorité présidentielle, certains s’interrogent, Emmanuelle Hoffman (majorité) évoque un risque inconstitutionnel, évoquant une probable censure par le Conseil constitutionnel. Jean Moulliere (Horizons) propose un retravail du texte avant discussion en séance. Certains élus de la majorité présidentielle eux-mêmes ont exprimé leurs doutes, évoquant le risque réel de voir cette loi censurée pour inconstitutionnalité.
Les risques juridiques et humains
Au-delà de la bataille politique, c’est la portée humaine de cette décision qui interroge. Que devient un couple franco-étranger qui s’aime, mais dont l’un n’a pas de papiers ? Faudra-t-il attendre une régularisation hypothétique avant de s’unir officiellement ? Ce texte pourrait plonger de nombreuses familles dans des situations d’insécurité juridique, sans parler de l’effet psychologique d’un rejet pour seule raison administrative.
Sur le plan du droit, la France entre dans une zone grise. Le Conseil constitutionnel a toujours considéré le mariage comme une liberté fondamentale, y compris pour les personnes étrangères. Limiter ce droit sans possibilité d’aménagement ni voie de recours pourrait ouvrir une brèche juridique difficile à justifier à l’échelle des droits humains.
Ce qui attend le texte dans les prochaines semaines
Le vote en commission n’est qu’une étape. Le texte doit encore être débattu en séance plénière à l’Assemblée, le 26 juin, journée dédiée aux initiatives de l’UDR (groupe Ciotti). C’est là que l’essentiel se jouera, les amendements, les arbitrages et les réactions du gouvernement pourraient encore faire évoluer le contenu final. Mais la dynamique politique, portée par une volonté de fermeté migratoire, laisse présager une adoption rapide.
Cette loi soulève une question essentielle, jusqu’où peut-on restreindre une liberté individuelle au nom du contrôle migratoire ? Le mariage n’est pas seulement un acte civil, c’est une reconnaissance de la dignité et de l’autonomie de chaque individu. En conditionnant ce droit à la régularité administrative, la France fait un choix lourd de conséquences, aussi bien sur le plan humain que symbolique.
À trois semaines d’une nouvelle échéance décisive, chaque voix comptera dans un texte susceptible de redéfinir les contours du droit au mariage en France. L’avenir dira si ce texte passera l’épreuve du Conseil constitutionnel. Mais d’ores et déjà, il marque un tournant dans la façon dont l’État entend encadrer la vie privée… même la plus intime.