En France, les sans-papiers traqués dans les gares et les transports subissent une intensification des contrôles. Pendant deux jours, 4 000 agents ont été déployés pour interpeller les personnes en situation irrégulière, une opération qui soulève des critiques sur ses méthodes et ses effets concrets.
Mercredi 18 juin, dès l’aube, des agents de police ont investi les grandes gares françaises. Sur les quais, dans les wagons, jusque dans les couloirs des gares régionales, les contrôles d’identité se sont multipliés. L’opération, ordonnée par le ministère de l’Intérieur, s’inscrit dans une stratégie affichée de lutte contre l’immigration dite « irrégulière ». Elle vise à renforcer la présence policière dans les transports pour « interpeller les clandestins », selon les mots utilisés par Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur.
Durant 48 heures, les 18 et 19 juin, ce sont près de 4 000 membres des forces de l’ordre policiers, gendarmes, douaniers et militaires de l’opération Sentinelle qui ont été mobilisés. Ces opérations font suite à une initiative similaire menée un mois plus tôt dans les bus internationaux, où 759 personnes en situation irrégulière avaient été interpellées. Retailleau évoque des « résultats significatifs » et parle d’une « tolérance zéro » appliquée sans compromis.

Sans-papiers traqués dans les gares et transports publics
Les gares, trains régionaux et bus reliant les pays frontaliers ont été identifiés comme points de passage prioritaires. Les préfets ont reçu des instructions claires : cibler les zones stratégiques, notamment les liaisons entre les métropoles françaises et les pays voisins. Ce choix s’appuie sur une analyse du ministère selon laquelle le réseau ferroviaire constitue un axe essentiel de transit pour les étrangers en situation irrégulière.
Les agents de la SNCF ont été mobilisés en soutien, formés spécifiquement pour alerter en cas de doute sur un voyageur. Des cas de vérification systématique dans les trains de la région PACA, notamment entre Vintimille et Menton, avaient déjà été signalés auparavant. Là, les passagers perçus comme étrangers étaient souvent les seuls contrôlés, ce qui relance le débat sur les pratiques de contrôle au faciès.
Interpellations et politiques de chiffres dans la gestion migratoire
Le ministère évoque plus de 47 000 interpellations depuis le début de l’année et une hausse de 28 % des interceptions d’étrangers en situation irrégulière ces dernières semaines. Ces chiffres sont brandis comme un indicateur de fermeté. Cependant, les suites concrètes restent plus limitées : sur les 759 personnes arrêtées en mai, seules 245 ont reçu une obligation de quitter le territoire (OQTF), et 34 ont été placées en rétention.
Des avocats comme Vincent Souty ou Cécile Madeline dénoncent une politique d’apparence, focalisée sur les statistiques plus que sur des critères juridiques solides. Certains individus arrêtés sont insérés dans la société, travaillent, ont des familles, paient un loyer. La procédure expéditive de placement en rétention est alors jugée disproportionnée.
Discrimination raciale et impact des contrôles renforcés
Les associations de défense des droits des étrangers dénoncent une stratégie qui s’apparente à une stigmatisation ciblée. Utopia 56 parle d’une « grande campagne de discrimination raciale ». Plusieurs témoignages confirment des pratiques de contrôle s’appuyant sur l’apparence physique, notamment la couleur de peau, indépendamment de toute vérification documentaire préalable.
Dans le train Menton–Vintimille, une passagère ivoirienne a raconté avoir été tirée hors des toilettes sans explication, alors que tous les autres passagers noirs avaient également été contraints de descendre. Des méthodes perçues comme arbitraires, qui posent la question du respect des droits fondamentaux et de la légalité des pratiques policières.
Climat de tension et effets collatéraux sur les populations étrangères
Sur le terrain, la multiplication des contrôles engendre un climat d’angoisse chez de nombreux étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou non. Le sentiment d’insécurité juridique s’installe, même pour ceux qui disposent de titres valides. Les transports deviennent un espace sous surveillance permanente, où la peur de l’interpellation peut dissuader les déplacements les plus ordinaires.
Ce climat touche particulièrement les populations déjà précaires. La peur de l’arrestation pousse certains à éviter les transports en commun, à se cacher ou à limiter leurs déplacements, ce qui a des conséquences directes sur leur accès à l’emploi, aux soins ou à l’éducation. Le dispositif, s’il se veut dissuasif, risque ainsi d’aggraver la marginalisation de ceux qu’il prétend gérer.
Dans le hall de la gare de Lyon, jeudi matin, une mère regarde nerveusement autour d’elle alors qu’un agent s’approche. Elle serre la main de son fils et chuchote : « Ne dis rien, reste calme. » Derrière elle, un panneau clignote en lettres blanches : « Bienvenue en France. »