Les demandeurs d’emploi devront désormais redoubler de prudence. En France, refuser deux fois un CDI après un CDD ou une mission d’intérim peut suffire à perdre son allocation chômage. Malgré la fronde syndicale, le Conseil d’État a validé la mesure, entérinant un tournant dans la gestion de l’assurance chômage.
Instaurée dans une relative discrétion en début d’année 2024, cette mesure résonne aujourd’hui comme un signal fort. Refuser à deux reprises une offre de contrat à durée indéterminée (CDI), dans un délai de douze mois après la fin d’un contrat court, peut désormais entraîner la suppression de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE).
Une mesure en vigueur depuis janvier 2024, discrète mais décisive
Le dispositif, intégré à la réforme de l’assurance chômage pilotée par le gouvernement, vise à accélérer le retour à l’emploi durable en incitant les travailleurs précaires à accepter les postes stables proposés. La mesure s’inscrit dans une logique de responsabilisation individuelle mais aussi de contrôle accru de la dépense publique.
Pour qu’un refus de CDI soit considéré comme “sanctionnable”, plusieurs critères de recevabilité sont requis, il doit s’agir d’un poste similaire à celui précédemment occupé, avec un niveau de salaire équivalent, un temps de travail comparable, et proposé dans des conditions claires et vérifiables. L’offre doit en outre être faite par écrit, et le salarié disposer d’un délai raisonnable pour y répondre.
Les syndicats parlent de travail forcé : une bataille judiciaire perdue
Face à cette mesure, les organisations syndicales n’ont pas tardé à réagir. La CGT, Solidaires, FO et la FSU ont saisi en urgence le Conseil d’État, dénonçant une mesure qu’elles jugent inéquitable, floue et susceptible de plonger de nombreux travailleurs dans la précarité sans alternative réelle.
Leur principal argument : ce dispositif, en retirant l’allocation à ceux qui refusent un emploi, s’apparente à une forme de travail imposé. Ils pointent aussi l’absence de garanties claires concernant l’information des salariés sur les conséquences de leur choix, et le flou autour de la définition d’un “poste équivalent”.
Mais dans sa décision rendue le 18 juillet 2025, le Conseil d’État a balayé ces critiques. Selon la haute juridiction administrative, le texte respecte la légalité, tant sur le fond que sur la forme. Le refus d’un CDI n’est pas automatiquement sanctionné : France Travail (ex-Pôle emploi) reste seul compétent pour examiner chaque cas et décider du maintien ou non des droits. Par ailleurs, les recours restent ouverts pour les bénéficiaires qui souhaiteraient contester une décision.
Allocation chômage supprimée, une nouvelle ère pour les droits sociaux
Au-delà de la technique juridique, cette validation par le Conseil d’État révèle un changement profond dans la philosophie de l’assurance chômage en France. Le gouvernement défend une ligne qui favorise la sortie rapide de la précarité par l’acceptation d’un CDI, quel qu’en soit le contexte.
Mais de nombreux observateurs alertent, dans un marché du travail fragmenté, où les CDI se font parfois rares, exigeants ou peu attractifs, cette logique pourrait surtout accentuer les pressions sur les plus fragiles, en les poussant à accepter des postes par crainte de perdre toute ressource. En d’autres termes, la frontière entre incitation et contrainte devient floue.
D’autant que les employeurs ont désormais le pouvoir de signaler un refus de CDI à France Travail, qui peut alors déclencher la procédure de sanction. Un mécanisme qui, pour certains juristes, fait peser un déséquilibre entre les droits du salarié et le contrôle exercé par l’État sur son parcours professionnel.
Quels recours pour les salariés concernés ?
Pour les personnes concernées, plusieurs garde-fous existent encore. La proposition de CDI doit respecter des critères stricts, et l’entreprise doit pouvoir prouver l’envoi formel de l’offre, avec accusé de réception ou signature.
Le demandeur d’emploi a toujours le droit de contester la suppression de son allocation devant les tribunaux administratifs. De plus, si l’emploi proposé n’est pas objectivement équivalent ou présente des conditions dégradées, la sanction peut être écartée.
Néanmoins, la charge de la preuve repose désormais davantage sur l’allocataire, qui devra démontrer que son refus était justifié. C’est une inversion de logique par rapport au système précédent, où le droit au chômage était avant tout perçu comme une garantie après la perte d’un emploi.
Une nouvelle normalité pour les précaires ?
Avec cette validation par le Conseil d’État, la doctrine du “droits et devoirs” prônée par France Travail prend une tournure plus contraignante. Les CDD, les intérimaires, les saisonniers, tous devront peser leurs décisions à l’aune de conséquences potentiellement lourdes.
Au fond, cette réforme pose une question simple : jusqu’où doit-on contraindre pour insérer ? Pour l’exécutif, le CDI est la clef d’un marché du travail plus stable. Pour ses détracteurs, il risque de devenir l’unique porte de sortie tolérée, au détriment de la liberté individuelle.