Malgré les efforts pour moderniser les canaux officiels, une partie importante de la diaspora algérienne en France privilégie toujours le marché noir pour leur Transfert d’argent vers l’Algérie. Un choix motivé par le taux de change parallèle, mais qui n’est pas sans risques.
Alors que le Maroc et la Tunisie canalisent l’épargne de leurs expatriés via des banques dynamiques et des produits financiers dédiés, l’Algérie voit ses flux s’évaporer dans le marché parallèle. En cause, un différentiel de change abyssal qui offre 73 % de rendement supplémentaire aux circuits informels. Résultat, moins de 2 milliards de dollars officiellement transférés chaque année, malgré l’une des diasporas les plus nombreuses du Maghreb.
Avec près de 7 millions d’expatriés, l’Algérie possède l’un des plus grands viviers humains de la région. Pourtant, les chiffres déçoivent, selon la Banque mondiale, seuls 1,94 milliard de dollars ont transité par les canaux bancaires en 2024. Un paradoxe, si l’on compare aux 12 milliards du Maroc ou aux 2,8 milliards de la Tunisie, malgré des diasporas plus réduites.
Transfert d’argent vers l’Algérie, l’écart entre taux officiel et parallèle
Le dinars algérien est l’une des devises les plus fragiles de la région. Sur le marché officiel, un euro s’échange autour de 150 DA, alors que dans les rues d’Alger ou d’Oran, il peut dépasser 230 DA. Cet écart colossal réduit considérablement le pouvoir d’achat des familles lorsque l’argent est envoyé par les canaux bancaires classiques.
- Un transfert de 1 000 € au taux officiel équivaut à 150 000 DA.
- Le même transfert via le marché noir atteint près de 230 000 DA.
La différence, soit 80 000 DA, représente presque deux mois de salaire minimum en Algérie. Difficile, dans ces conditions, pour un travailleur algérien en France d’accepter de “perdre” autant d’argent en utilisant le canal légal.
Ce différentiel alimente un système parallèle d’une puissance redoutable. Changeurs, courtiers et porteurs d’espèces captent la majeure partie des flux, laissant l’État sans devises et les banques sans dépôts.
L’ombre du marché parallèle
Les transferts d’argent constituent un véritable poumon financier pour l’Algérie. Chaque année, des milliards d’euros quittent la France pour rejoindre les familles restées au pays. Pourtant, au lieu de passer par les circuits bancaires classiques, une grande partie de la diaspora choisit la voie informelle, celle du marché noir des devises.
À première vue, cette préférence peut surprendre. Les banques françaises et algériennes disposent de services dédiés aux transferts, et des opérateurs comme Western Union ou MoneyGram facilitent les envois rapides. Mais pour de nombreux Algériens de France, la réalité économique prend le dessus, les écarts entre le taux de change officiel et celui pratiqué dans le circuit parallèle sont tels que le choix devient presque évident.
Un système officieux mais bien rodé
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le marché parallèle des devises n’est pas anarchique. Il s’agit d’un réseau organisé, avec ses courtiers, ses points de rendez-vous et même ses règles implicites.
- Les contacts se font généralement par recommandation familiale ou amicale.
- L’argent est remis en France en espèces ou par virement discret.
- Le correspondant en Algérie livre ensuite l’équivalent en dinars au bénéficiaire, parfois le jour même.
Ce mécanisme de compensation permet d’éviter le transport physique de devises, tout en garantissant rapidité et efficacité.
Les risques pour les usagers
Si le marché noir offre des avantages financiers immédiats, il comporte aussi des risques majeurs :
- Absence de recours légal : en cas de litige, impossible de se tourner vers la justice.
- Faux billets : la circulation de devises contrefaites n’est pas rare.
- Arnaques : certains intermédiaires disparaissent après avoir encaissé l’argent.
- Infractions pénales : recourir au marché noir est illégal et peut entraîner des sanctions.
Pour les familles bénéficiaires, cette dépendance à un système parallèle signifie aussi une instabilité permanente, le taux peut varier fortement selon la conjoncture politique ou économique.

Les limites des circuits officiels
Les autorités algériennes encouragent la diaspora à utiliser les banques et les établissements financiers agréés. Mais plusieurs freins persistent :
- Taux défavorable : l’écart avec le marché parallèle reste dissuasif.
- Formalités lourdes : justificatifs, délais d’attente, plafonds de transfert.
- Manque de confiance : beaucoup de familles doutent de la fiabilité du système bancaire local.
- Fermeture aux devises : en Algérie, la circulation de l’euro reste encadrée, ce qui limite son usage direct.
Résultat, malgré la légalisation de nouveaux produits bancaires, comme les comptes devises, le marché noir conserve une attractivité indéniable.
Une réalité qui embarrasse les autorités
Les transferts d’argent des émigrés représentent une source cruciale de devises pour l’Algérie. Or, en passant par le marché noir, ces flux échappent aux circuits officiels et privent le pays de milliards de dollars de réserves en devises étrangères.
Face à ce constat, le gouvernement tente de réagir :
- Lancement de produits bancaires attractifs pour la diaspora.
- Promesses de réformes pour rapprocher le taux officiel du taux parallèle.
- Renforcement des contrôles contre les réseaux illégaux.
Mais ces mesures peinent à convaincre une communauté habituée depuis des décennies à contourner les canaux légaux.
Le contraste marocain et tunisien
Maroc : une stratégie intégrée
Avec plus de 12 milliards de dollars captés en 2024, Rabat a construit un écosystème solide :
- Comptes devises & dirhams convertibles accessibles depuis l’étranger
- Obligations souveraines réservées à la diaspora
- Crédits immobiliers adossés aux transferts
- Applications mobiles & partenariats internationaux (Western Union, fintechs)
Les banques marocaines disposent en outre de filiales en Europe, facilitant la circulation de fonds.
Tunisie : une diaspora bancarisée
La Tunisie, avec ses 2,8 milliards annuels, mise sur :
- des guichets uniques pour les expatriés,
- des produits financiers ciblés (épargne, obligations),
- des solutions mobiles appuyées par les télécoms,
- des programmes de co-investissement local.
Là-bas, la diaspora est considérée comme un acteur économique stratégique, intégrée aux politiques publiques.
Tableau comparatif du transfert d’argent de la diaspora du maghreb
Pays | Diaspora (M) | Transferts officiels (2024) | Taux change attractif ? | Produits bancaires dédiés |
---|---|---|---|---|
Algérie | 6-7 | 1,94 Md $ | ❌ Écart de 73 % | Très limités |
Maroc | 5 | 12 Md $ | ✅ Taux compétitif | Comptes devises, obligations, crédits |
Tunisie | 1,5 | 2,8 Md $ | ✅ Taux aligné | Guichets, épargne, mobile, co-invest |
Cette double pénalité – change défavorable + services bancaires défaillants – enferme l’Algérie dans un cercle vicieux. Pendant que Rabat et Tunis transforment leur diaspora en levier de développement, Alger laisse ses milliards circuler dans l’ombre, enrichissant le marché noir.
Vers un changement possible ?
Pour réduire l’écart entre marché officiel et parallèle, plusieurs économistes préconisent :
- Une réforme en profondeur du système de change, avec un taux plus réaliste.
- Une libéralisation partielle de la circulation des devises.
- Le développement d’outils modernes, comme les applications mobiles de transfert, déjà utilisées ailleurs en Afrique.
Tant que ces évolutions ne verront pas le jour, la diaspora continuera de privilégier des solutions informelles, quitte à s’exposer à des risques.
Le recours massif des Algériens de France au marché noir pour les transferts d’argent illustre un paradoxe algérien, d’un côté, un système bancaire officiel lourd et rigide ; de l’autre, un réseau informel souple et attractif, mais illégal.
À court terme, le choix de la diaspora reste avant tout économique et pragmatique. Mais à long terme, il pose un vrai défi aux autorités, qui devront réformer en profondeur le système financier pour regagner la confiance de leurs émigrés.