Les étudiants algériens restent-ils en France après le diplôme? Les jeunes algériens sont désormais la deuxième communauté étrangère la plus nombreuse dans les universités françaises. Mais un chiffre interroge, 61 % d’entre eux resteraient en France après leurs études. Réalité sociale ou fantasme politique ?
Entre deux rives, les ambitions se mêlent souvent aux réalités. Chaque automne, des milliers de jeunes Algériens posent leurs valises en France, attirés par la promesse d’un enseignement d’excellence et d’un avenir plus ouvert. Mais à l’heure du diplôme, la question se repose, presque inévitable, rentrent-ils bâtir l’Algérie de demain, ou prolongent-ils leur histoire sur le sol français ? Derrière les chiffres des visas et les discours politiques, se dessine une migration silencieuse, faite d’opportunités, de doutes et d’attaches humaines.
L’année universitaire 2024-2025 a marqué un tournant. Selon l’ambassade de France à Alger, 1 000 visas étudiants supplémentairesont été délivrés à des algériens. Avec près de 28 000 inscrits, l’Algérie devient la deuxième nationalité étrangère la plus représentée dans l’enseignement supérieur français, juste derrière le Maroc et devant la Chine.
Ce succès diplomatique s’inscrit pourtant dans un climat tendu. Certains responsables politiques français s’inquiètent de la « massification » des étudiants venus du Maghreb. Le député Charles Rodwell (Renaissance) estimait début octobre sur CNews que « si ces étudiants se concentrent dans des filières non prioritaires pour la France, cela peut poser question ». De son côté, Éric Ciotti, président du parti Les Républicains, a affirmé que « la quasi-intégralité des étudiants algériens restent en France après leurs études ».
Une déclaration choc, mais que disent réellement les chiffres ?
Un profil universitaire bien spécifique
Les étudiants algériens se distinguent par leurs choix de formation. Contrairement aux étudiants asiatiques ou africains subsahariens, ils s’inscrivent majoritairement à l’université, et non dans les grandes écoles. Près d’un quart d’entre eux suivent des cursus en lettres, sciences sociales ou droit, contre une minorité orientée vers les filières scientifiques ou technologiques.
Ce profil s’explique en partie par le coût des études et par la forte demande de visas étudiants vers les universités publiques françaises, où les frais sont bien plus abordables. Les campus d’Aix-Marseille, Lyon 2, Paris 8 ou Lille attirent ainsi chaque année des cohortes d’étudiants venus directement d’Alger, Oran ou Constantine.
En matière de réussite universitaire, les indicateurs restent contrastés. Les données du ministère de l’Enseignement supérieur ne distinguent pas par nationalité, mais les étudiants venus du Maghreb affichent un taux de réussite en licence inférieur à celui des Français, tout en réussissant mieux que d’autres populations francophones d’Afrique subsaharienne.
🇩🇿 « Huit ans après avoir reçu un premier titre pour motif "étudiant", 61% des Algériens possèdent toujours un titre de séjour en France – dont les deux tiers pour motif familial. »@NPM_OID dans « La Matinale » @CNEWS ⬇️ pic.twitter.com/ekt7U6dGal
— Observatoire de l'immigration et de la démographie (@ObservatoireID) September 24, 2025
Après le diplôme : un retour rare, une installation fréquente
C’est ici que les chiffres deviennent éloquents. Une étude du ministère de l’Intérieur ayant suivi la cohorte d’étudiants arrivés en 2015 révèle que 61 % des étudiants algériens sont encore en France huit ans plus tard. Un taux bien supérieur à celui des Marocains (47 %) et des Chinois (14 %).
Pour Antoine Pécoud, professeur de sociologie à l’Université Sorbonne Paris Nord, ce phénomène s’explique par la nature même des liens entre les deux pays :
« La France reste le principal pays de destination pour les Algériens. Ces étudiants y ont souvent de la famille, des amis, parfois même la nationalité française dans leur entourage. Les réseaux d’intégration sont déjà en place, ce qui facilite leur maintien après les études. »
Autrement dit, la France n’est pas pour eux une simple destination académique, mais un espace de continuité culturelle, linguistique et familiale.
Statistique
Valeur / Description
Source
Nombre d’étudiants algériens inscrits en France pour 2023-2024
≈ 34 269
Campus France – Pays d’origine 2023-2024
Part des étudiants algériens parmi les étudiants étrangers en 2023-2024
Évolution sur 5 ans du nombre d’étudiants algériens
+10 % (ou +18 % selon les années examinées)
Campus France
Étudiants étrangers en France (ensemble) en 2024-2025
~443 500
Campus France
Part des étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur français
≈ 15 % (2024-2025)
Campus France
Un choix de vie plus qu’une stratégie économique
Rester en France après les études ne relève pas uniquement d’une volonté de « profiter du système », comme l’affirment certains discours politiques. Beaucoup d’étudiants justifient ce choix par le manque de débouchés professionnels en Algérie, la difficulté d’obtenir une équivalence de diplôme, ou encore la volonté de poursuivre une carrière dans un environnement francophone plus stable.
De nombreux témoignages recueillis dans les campus franciliens ou lyonnais confirment cette tendance. Rania, diplômée en marketing à Lyon 3, explique :
« J’ai tenté de rentrer, mais les entreprises algériennes m’ont proposé des salaires dérisoires. En France, je gagne le double et j’ai la sécurité sociale. C’est difficile de repartir après avoir construit une vie ici. »
Un enjeu migratoire et diplomatique
Ce maintien prolongé interroge aussi la coopération universitaire franco-algérienne. La France y voit un vivier de talents, notamment dans la recherche et la médecine, tandis que l’Algérie y perçoit parfois une fuite de cerveaux coûteuse.
Le ministère algérien de l’Enseignement supérieur a tenté ces dernières années d’encourager le retour au pays à travers des programmes de réinsertion académique et des bourses de retour. Mais ces mesures restent marginales face à l’attractivité du marché du travail français et aux démarches administratives parfois lourdes pour réintégrer le système algérien.
Vrai ou faux ? Les étudiants algériens restent en France
Sur le fond, Éric Ciotti n’a pas tort, les étudiants algériens sont bien ceux qui, statistiquement, demeurent le plus souvent en France après leurs études. Mais réduire ce phénomène à une logique d’abus ou d’échec universitaire est une lecture réductrice.
Ce choix relève d’une réalité sociale complexe, mêlant attachement culturel, proximité linguistique et enjeux économiques. Pour beaucoup, la France n’est pas un refuge, mais une extension naturelle de leur parcours académique et professionnel.