La fin du cash franchit une nouvelle étape en Algérie. La Banque d’Algérie durcit les règles encadrant les dépôts en espèces dans les comptes commerciaux, invoquant des risques élevés liés au blanchiment d’argent. Cette décision rebat les cartes pour les entreprises, les banques et un tissu économique encore largement dépendant du liquide.
Depuis plusieurs mois, le signal était perceptible. Discours officiels, rappels réglementaires, mises en garde publiques, la réduction de l’usage de la monnaie fiduciaire faisait partie des priorités affichées. La note publiée le 22 décembre dernier par la Banque d’Algérie constitue l’instrument opérationnel qui impactera, avec des effets immédiats, les pratiques bancaires.
La mesure répond à une logique évidente en lien avec la limitation des flux financiers non transparents qui transitent encore par les circuits formels sans traçabilité suffisante. En ciblant l’alimentation des comptes commerciaux, le régulateur s’attaque à un point névralgique du système, longtemps utilisé comme point d’entrée du cash issu de l’économie informelle.
Fin du cash et dépôts en espèces sous contrôle renforcé
La nouvelle instruction part d’un constat sans ambiguïté : les dépôts en espèces présentent un « niveau de risque élevé ». Désormais, les versements en cash ne constituent plus la règle, mais l’exception. Les comptes commerciaux doivent être alimentés prioritairement par des moyens de paiement scripturaux, comme les virements bancaires ou les chèques.
Le changement est aussi méthodologique. Désormais, c’est au client d’apporter des justificatifs. En cas de versement en espèces, il devra prouver le caractère exceptionnel de l’opération, sa cohérence économique et sa conformité avec son activité déclarée. Les banques, de leur côté, sont appelées à documenter leurs décisions et à renforcer leurs diligences.
Cette approche marque une rupture avec des pratiques encore répandues, notamment chez les distributeurs et grossistes qui servaient jusque-là de relais entre petits commerçants et fournisseurs structurés.
Lutte contre le blanchiment et alignement sur les standards internationaux
La mesure s’inscrit dans un contexte plus large de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement illicite. Depuis son inscription sur la liste grise du GAFI en octobre 2024, l’Algérie multiplie les ajustements réglementaires pour renforcer la crédibilité de son dispositif financier.
Les pouvoirs publics disposent d’exemples concrets qui ont pesé dans la décision. En 2025, plusieurs opérations ont mis au jour des circuits de blanchiment d’argent portant sur des montants considérables, parfois destinés à être réinjectés dans l’immobilier ou les biens de luxe. L’interception d’un fourgon transportant plus de 124 milliards de centimes en aout dernier au niveau de la wilaya de Mostaganem illustre l’ampleur des flux concernés.
Dans ce cadre, la fin du cash n’apparaît pas comme une mesure isolée, mais comme un levier central pour réduire l’évasion fiscale, tarir les sources de revenus criminels et renforcer la transparence des transactions.
Devoir de vigilance et profil de risque des clients
La note de la Banque d’Algérie rappelle explicitement l’obligation d’appliquer plusieurs textes structurants. Parmi eux, le règlement nᵒ 24-03 (du 24 juillet 2024) relatif à la prévention du blanchiment d’argent, l’instruction nᵒ 03-24 (du 24 novembre 2024) sur le devoir de vigilance et les lignes directrices de la Commission bancaire nᵒ 02-2025 publiées le 26 mai 2025.
Concrètement, les opérations bancaires devront désormais être cohérentes avec le profil du client. Volume des transactions, fréquence des dépôts, nature de l’activité, chaque élément est appelé à être analysé dans une logique de gestion des risques. Les établissements financiers sont incités à dépasser le simple contrôle formel pour évaluer la logique économique des flux.
Cette surveillance accrue concerne en priorité les zones à risque élevé, sans remettre en cause le fonctionnement normal des clients dont les flux sont clairement identifiés.

Impact sur le commerce et la bancarisation
Sur le terrain, la mesure soulève des interrogations pratiques. Une grande partie du commerce de détail fonctionne encore quasi exclusivement en espèces. Les petits commerçants, souvent non équipés en terminaux de paiement électronique, règlent leurs approvisionnements en liquide, tout comme leurs clients.
La nouvelle règle crée une tension dans cette chaîne. Les distributeurs, incapables de verser leurs recettes en cash sur leurs comptes, pourraient être amenés à exiger des paiements scripturaux en amont. Un changement qui suppose une adaptation rapide des pratiques, dans un contexte de faible bancarisation et de déploiement encore limité des solutions de paiement électronique.
Les autorités sont conscientes de ce décalage. Raison pour laquelle la Banque d’Algérie insiste sur un point précis : « Les mesures de vigilance ne doivent pas devenir un frein à l’inclusion financière. »
Inclusion financière et limites du durcissement
Le message adressé aux banques est nuancé. Les particuliers et les petites structures présentant un faible niveau de risque ne doivent pas être pénalisés par une application mécanique des règles. L’objectif affiché reste le ciblage des flux à risque, pas l’exclusion des acteurs économiques réguliers.
Cette ligne rouge traduit une reconnaissance implicite des réalités du marché. La fin du cash, telle qu’esquissée par le régulateur, n’est pas une interdiction brutale du liquide, mais une tentative de réorientation progressive vers des circuits traçables.
Reste que l’équilibre sera délicat à maintenir. Entre impératifs de conformité internationale, lutte contre l’informel et contraintes opérationnelles du commerce quotidien, la nouvelle mesure place les banques au centre d’un arbitrage sensible. Un arbitrage qui, dans les mois à venir, dira jusqu’où l’économie algérienne est prête à aller dans sa transition vers des paiements moins dépendants du cash.






