Alors que le marché parallèle reste en effervescence, le billet de 100 euros atteint un prix historique, dépassant les 26 000 dinars au square d’Alger. Cette flambée inédite met en lumière les tensions persistantes entre offre limitée, demande croissante et écart structurel avec les taux officiels.
Sur les trottoirs du square Port-Said à Alger, l’agitation des cambistes tranche avec la stabilité apparente des vitrines bancaires. En ce début de semaine, les échanges autour de la devise européenne s’intensifient, les chiffres s’emballent. Il ne s’agit plus d’une simple hausse conjoncturelle. Le marché parallèle vient de franchir le seuil historique atteint en décembre 2024. Le billet de 100 euros atteint un prix historique, passant le cap symbolique des 26 150 dinars à la vente pour ce mercredi 30 avril.
Dans un contexte où l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle ne cesse de se creuser, cette hausse devient un marqueur des déséquilibres monétaires en Algérie. Si certains se tournent vers ce marché pour des raisons pratiques, d’autres y voient le seul moyen d’accéder à des devises indispensables pour voyager ou commercer.
En effet, ce nouveau palier n’est pas sans conséquences. Pour de nombreux ménages algériens, qui ont recours au marché informel pour couvrir leurs frais de voyage ou soutenir des proches à l’étranger, cette hausse représente une charge importante. Les importateurs, eux aussi, voient leurs coûts augmenter. Quant aux autorités, elles observent cette évolution avec prudence, conscientes de l’impact sur l’équilibre monétaire.
Le billet de 100 euros atteint un prix historique sur fond de déséquilibre entre l’offre et la demande

Le phénomène n’est pas nouveau, mais l’ampleur de la hausse interpelle. Il s’inscrit dans une tendance qui s’est affirmée depuis plusieurs semaines. Le taux de change observé au square Port-Said donne le ton pour ce 30 avril 2025 : 261,5 dinars algériens à la vente et 258,5 dinars à l’achat pour un euro. Il y a quelques jours à peine, ces niveaux étaient encore inédits. En effet, deux jours plus tôt, les mêmes billets s’échangeaient à 26 050 dinars. Le marché informel semble s’autoalimenter dans une spirale haussière. Cette dynamique haussière s’installe depuis plusieurs semaines, alimentée par plusieurs facteurs structurels.
D’abord, il y a la question de l’allocation touristique de 750 euros par an, promise, mais toujours non appliquée. Ce retard pousse les voyageurs à se tourner massivement vers le marché parallèle. Ensuite, l’approche du hadj entraîne une forte demande supplémentaire, les futurs pèlerins devant eux-mêmes se procurer les devises nécessaires au séjour.
Ajoutons à cela la spéculation naturelle que génère toute pénurie, certains cambistes achètent aujourd’hui dans l’attente de revendre à un taux encore plus avantageux dans les jours à venir. La loi de l’offre et de la demande agit ici sans filtre.
Ce contexte crée un terrain propice à la spéculation. Certains acteurs n’hésitent pas à acheter aujourd’hui en anticipant une poursuite de la hausse, les acheteurs, eux, se pressent chaque jour un peu plus pour sécuriser leurs devises, avant une nouvelle hausse, limitant davantage l’offre sur le marché.
L’écart avec le marché officiel s’élargit au détriment de la transparence
Pendant que le marché informel flambe, le taux de change officiel de l’euro reste relativement stable. À la Banque d’Algérie, l’unité de la monnaie européenne est cotée à 150,65 dinars, soit plus de 110 dinars de moins que dans les transactions informelles. Un écart qui illustre la dualité du système de change en Algérie.
Ce différentiel n’épargne pas les autres devises. Le dollar américain, par exemple, affiche un cours officiel de 132,30 dinars, contre 238 dinars à la vente sur le marché informel. La livre sterling suit la même logique, avec un taux parallèle à 302 dinars, bien au-dessus de sa cotation réglementée à 177,40 dinars.
Cette différence à deux vitesses soulève des interrogations sur la capacité du système bancaire à répondre aux besoins réels des usagers. Pour de nombreux observateurs, l’attrait pour le marché parallèle ne tient pas seulement aux taux pratiqués, mais aussi à sa réactivité et à l’absence de formalités.
Panorama des devises en circulation et dynamique des taux

Le marché informel reste dominé par l’euro, mais d’autres devises font aussi l’objet d’intenses échanges. Parmi elles, le dollar canadien s’échange autour de 162 dinars à la vente, contre 95,67 dinars au taux officiel. Le franc suisse atteint 277 dinars, tandis que le riyal saoudien dépasse les 61 dinars, porté par les préparatifs du pèlerinage.
Le yuan chinois, la livre sterling, le dinar tunisien ou encore le dirham des Émirats arabes unis suivent cette tendance, avec un écart notable entre les deux marchés. Cette situation renforce le rôle central des cambistes dans l’accès aux devises pour les citoyens, en l’absence d’un cadre institutionnel suffisamment souple et réactif.
Une pression continue liée à la saison et au contexte économique
L’entrée dans la période estivale s’ajoute à un climat économique déjà tendu. L’augmentation des départs à l’étranger pour raisons touristiques ou familiales stimule mécaniquement la demande en devises. Dans le même temps, la Banque d’Algérie ne semble pas disposer de leviers efficaces pour répondre à cette montée.
Cette flambée du billet de 100 euros n’est donc pas un phénomène passager. Elle reflète une tension de fond sur le marché des changes, exacerbée par un accès limité aux devises officielles, des besoins en hausse et une politique d’allocation monétaire encore floue.
Dans l’attente d’éventuelles mesures correctives, le square Port-Said reste le baromètre officieux de la valeur des devises en Algérie. À mesure que l’été approche, tous les regards restent tournés vers les petites échoppes d’échange informel, où chaque billet étranger devient un actif convoité.