Le montant en euros transféré par la diaspora tunisienne a connu une progression notable, dépassant les 2,6 milliards de dinars à la fin d’avril 2025. Ces transferts, pourtant essentiels à l’équilibre financier du pays, restent largement orientés vers la consommation, avec un potentiel économique encore peu exploité.
Chaque année, des milliers de Tunisiens établis à l’étranger envoient de l’argent à leurs proches restés au pays. Ce geste familial et solidaire représente bien plus qu’un simple soutien, c’est un levier économique d’envergure. Toutefois, à y regarder de plus près, la portée de cet apport reste en deçà de son véritable potentiel.
La dynamique des transferts de devises vers la Tunisie progresse, mais leur impact structurel demeure limité. En effet, alors que d’autres pays du continent africain réussissent à orienter les fonds de leur diaspora vers des projets à forte valeur ajoutée, la Tunisie peine encore à enclencher ce virage.
Montant en euros transféré par la diaspora en hausse constante
En 2025, la diaspora tunisienne a envoyé environ 2,6 milliards de dinars tunisiens en transferts de fonds, selon les dernières statistiques publiées par la Banque centrale tunisienne. Cela représente une augmentation de 8 % par rapport à l’année précédente, où le montant s’élevait à 2,4 milliards de dinars. Converti en euros, cela correspond à un peu plus de 770 millions d’euros, en prenant en compte le taux de change moyen.
Cette croissance s’inscrit dans une tendance régulière, notamment depuis la pandémie, qui avait déjà révélé l’importance stratégique des transferts de fonds des diasporas dans de nombreux pays. En Tunisie, ces envois d’argent représentent aujourd’hui 5,6 % du produit intérieur brut (PIB), une contribution notable, mais qui demeure en retrait par rapport à son potentiel réel.
Contribution aux réserves en devises et au service de la dette
Les fonds envoyés depuis l’étranger par les Tunisiens jouent un rôle discret, mais déterminant dans la stabilité macroéconomique du pays. En 2024, ils ont couvert entre 1,3 % et 1,4 % du service de la dette extérieure. Autre donnée clé : ces transferts constituent près de 30 % des réserves nationales en devises, un apport non négligeable dans un contexte de forte pression sur les équilibres financiers.
Les autorités tunisiennes, conscientes de cette réalité, insistent sur la nécessité de transformer cette manne financière en un moteur de développement durable. Pour le moment, la majorité de ces fonds est absorbée par la consommation courante, comme les paiements des dépenses de base, le soutien aux familles, l’entretien des biens immobiliers.

Un potentiel sous-exploité face à des freins persistants
En moyenne, un Tunisien résidant à l’étranger envoie environ 120 dollars par mois, soit bien en dessous de la moyenne mondiale estimée à 200 dollars. Cette disparité met en lumière un potentiel économique important, mais mal mobilisé.
De plus, près de la moitié des Tunisiens de la diaspora possèdent un bien immobilier en Tunisie. Toutefois, cet investissement reste largement passif, souvent motivé par des considérations de retraite ou de maintien d’un lien familial avec le pays. Les investissements productifs dans l’industrie, les technologies ou l’innovation demeurent marginaux.
Les raisons sont multiples : manque d’incitations concrètes, absence de dispositifs d’accompagnement, difficultés à identifier des projets fiables, ou encore défiance envers le cadre institutionnel local. À titre de comparaison, des pays comme le Sénégal ou l’Éthiopie ont mis en place des fonds de co-investissement, des guichets uniques ou encore des plateformes de dialogue pour impliquer plus activement leur diaspora.
Des pistes pour renforcer l’impact économique des transferts
Le gouverneur de la Banque centrale, Fethi Zouhaier Nouri, a récemment souligné, lors d’un atelier à Tunis, l’importance de mieux canaliser ces ressources. L’objectif est de faire évoluer ces transferts d’une logique d’aide familiale vers une participation économique structurante.
Plusieurs solutions sont à l’étude, notamment la création de produits d’épargne adaptés, le renforcement des partenariats entre les banques locales et les communautés à l’étranger, ou encore la simplification des procédures d’investissement. Ces mesures visent à instaurer un climat de confiance propice à l’engagement de la diaspora.
Car il ne s’agit pas uniquement de capter davantage de fonds, mais de donner aux expatriés les moyens de participer activement au développement du pays. L’enjeu est aussi bien économique que symbolique : offrir aux Tunisiens de l’étranger une place dans l’avenir de la nation.
Le défi est de taille, mais la volonté politique semble émerger. Reste à transformer cette volonté en actions concrètes, à la hauteur des attentes d’une diaspora nombreuse, qualifiée et toujours liée à sa terre d’origine.