Après des mois d’attente, le gouvernement a enfin publié la nouvelle liste des métiers en tension. Un document crucial qui ouvre la voie à la régularisation et l’obtention du Titre de séjour en France pour de nombreux travailleurs étrangers, à condition de répondre à des critères stricts.
Attendue depuis plusieurs semaines, la publication officielle de la liste des métiers en tension a été confirmée ce jeudi 22 mai. Prévue par la loi immigration adoptée en janvier 2024, cette mise à jour établit, région par région, les secteurs professionnels qui manquent de main-d’œuvre en France.
Derrière ce document administratif se joue un enjeu concret : la possibilité, pour certains travailleurs étrangers en situation irrégulière, de déposer une demande de régularisation sous conditions. Le texte fixe ainsi le cadre d’accès au titre de séjour en France pour celles et ceux exerçant dans ces métiers identifiés comme prioritaires.
Loin d’être anodine, cette publication intervient dans un contexte tendu, où les besoins du marché du travail se heurtent aux débats récurrents sur la politique migratoire. Elle cristallise aussi les attentes de nombreux employeurs, tout comme celles des salariés concernés, qui voient là une ouverture vers davantage de stabilité.
Titre de séjour en France, ce que change la nouvelle liste des métiers en tension
Un jeudi matin comme un autre, à peine perturbé par la grisaille parisienne. Pourtant, pour Ali, cuisinier dans un bistrot du 11e arrondissement, la journée a commencé avec un soupçon d’espoir. Sur son téléphone, entre deux commandes, il lit enfin ce qu’il attendait depuis des semaines : la liste officielle des métiers en tension est publiée. Dans cette nouvelle version, son métier figure noir sur blanc, ouvrant potentiellement la voie à un titre de séjour en France, après des années d’ombre.
Trois mois après sa présentation aux partenaires sociaux, le document a été rendu public ce 22 mai 2025. Un retard justifié par des discussions interministérielles, des arbitrages politiques, et sans doute une part de calcul stratégique à l’approche de nouvelles échéances électorales. Mais au-delà du calendrier, c’est toute une population qui se sent enfin vue ou du moins, partiellement.
Une régularisation encadrée par la loi immigration de 2024
Cette liste n’est pas simplement administrative. C’est un outil politique et social. Prévue par la loi immigration votée en janvier 2024, elle permet la régularisation de travailleurs sans papiers sous certaines conditions, au moins douze mois de bulletins de paie sur les deux dernières années et trois années de résidence sur le territoire français.
Les 80 métiers recensés y sont présentés région par région, illustrant les disparités du marché de l’emploi. Dans certaines zones, ce sont les maraîchers salariés, dans d’autres les chauffeurs routiers, ou encore les aides à domicile, qui manquent cruellement à l’appel.
Mais de nombreux professionnels et syndicats regrettent l’absence de cohérence dans cette cartographie. Pourquoi le poste de serveur est-il reconnu en Nouvelle-Aquitaine, mais pas en Île-de-France ? s’interroge Samira, patronne d’un petit restaurant familial à Montreuil, qui peine à garder ses plongeurs, pourtant essentiels à son activité.

Les oubliés de la pénurie, bouchers, boulangers, aides-soignants…
Les tensions sur le marché de l’emploi sont bien réelles. Selon France Travail, le secteur de l’hôtellerie-restauration seul devrait recruter 336 000 personnes en 2025, avec des difficultés persistantes sur la moitié de ces postes. Pourtant, seule une partie restreinte des fonctions est incluse dans la liste : à Paris, par exemple, seul le métier de cuisinier est mentionné. Les plongeurs, aides-cuisiniers ou serveurs restent dans l’angle mort.
Même frustration chez les artisans. L’Union des entreprises de proximité déplore l’exclusion des bouchers, boulangers et autres métiers de l’alimentation, malgré des alertes répétées sur les difficultés de recrutement. « On nous félicite pendant les crises, mais on nous oublie quand il s’agit d’agir », résume Karim, boulanger à Toulouse, qui voit ses fourneaux tourner au ralenti par manque de main-d’œuvre.
Une décision politique sous tension
La publication de cette liste illustre aussi les tiraillements entre deux visions de l’immigration. D’un côté, celle portée par le ministère du Travail : pragmatique, centrée sur les besoins économiques. De l’autre, celle du ministère de l’Intérieur, plus soucieuse de limiter l’immigration, même si cela signifie laisser des postes vacants.
Le retard dans la publication pourrait d’ailleurs s’expliquer en partie par la récente élection de Bruno Retailleau à la tête des Républicains. Connu pour sa ligne dure sur l’immigration, il prône une priorité aux recrutements en situation régulière, même dans les secteurs sous tension.
La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, défend quant à elle un équilibre : « Cette liste articule les exigences du marché du travail, les réalités humaines et les priorités économiques du pays », a-t-elle déclaré dans un communiqué. Reste à savoir si les réalités du terrain seront vraiment prises en compte.
Ce que cela change vraiment pour les sans-papiers
Pour des milliers de travailleurs étrangers en situation irrégulière, cette liste représente une fenêtre d’espoir. Elle ne garantit pas un titre de séjour en France, mais ouvre la possibilité d’une régularisation si toutes les conditions sont réunies. Un processus souvent long, complexe et aléatoire.
« Je ne veux pas de cadeau, je veux juste pouvoir travailler légalement », confie Abdelkader, 39 ans, ouvrier dans le bâtiment à Marseille, qui a accumulé des fiches de paie pendant des années sans jamais oser demander une carte de séjour. « Peut-être que maintenant, j’aurai une chance. » en répondeur au critères pour régularisation via la liste des métiers en tension :
- Avoir résidé au moins trois ans en France
- Avoir travaillé au moins douze mois (même non consécutifs) sur les 24 derniers mois
- Justifier d’un emploi dans un métier listé, selon sa région de résidence
La publication de la liste des métiers en tension marque un tournant dans l’application de la loi immigration. Elle reflète une tension constante entre les besoins économiques du pays et les réalités humaines des travailleurs de l’ombre. Mais elle révèle aussi ses limites, une logique de tri sélectif, parfois incohérente, souvent injuste.
Le débat sur l’immigration continue de se faire à coup de chiffres, de quotas et de tableaux. Mais derrière ces colonnes, il y a des visages, des parcours, des sacrifices. Et une question simple, trop souvent éclipsée, qui fait tourner la France, concrètement, chaque jour ?