L’allocation touristique fixée à 750 euros attend toujours sa concrétisation. Malgré les annonces officielles, sa mise en œuvre reste suspendue. Ce retard alimente les circuits informels de change. Des voix expertes s’élèvent pour que la Banque d’Algérie clarifie et applique les engagements pris en faveur des voyageurs algériens.
L’annonce d’une hausse de l’allocation touristique à 750 euros par personne avait suscité l’espoir d’un accès élargi aux devises étrangères pour les Algériens. Présentée comme une mesure corrective, elle visait à répondre aux besoins des citoyens et à réduire le recours systématique au marché parallèle. Pourtant, plusieurs semaines après la date théorique de son application, aucune directive officielle n’est venue encadrer cette allocation dans les banques commerciales.
Ce silence institutionnel crée une situation d’attente qui, sur le terrain, a des conséquences mesurables. Dans les aéroports, les banques n’ont toujours pas lancé la distribution des devises. Résultat : les voyageurs continuent de se tourner vers les cambistes informels, avec des taux de change nettement supérieurs au taux officiel.
Mise en œuvre de l’allocation touristique toujours en attente
L’augmentation de l’allocation touristique avait été annoncée comme un levier pour encadrer les besoins en devises des citoyens, notamment dans le cadre de voyages touristiques, médicaux ou religieux. Pourtant, les procédures d’octroi ne sont toujours pas définies. Les guichets bancaires dans les ports et aéroports n’ont reçu aucune instruction à ce sujet.
L’absence de texte d’application par la Banque d’Algérie maintient les banques dans l’incapacité d’exécuter cette mesure. En parallèle, la demande sur le marché parallèle se renforce, amplifiée par les départs à l’étranger et le manque d’accès officiel aux devises étrangères.

Analyse de Chabane Assad sur l’impact économique
Dans une analyse technique, publiée le 6 mai sur Linkedin, Chabane Assad, expert financier et fondateur de FINABI Conseil, identifie deux causes à la flambée récente de l’euro sur le marché noir. D’abord, une cause économique légitime : la demande naturelle en devises liée aux voyages, à la santé, aux études ou à l’achat de véhicules. Pour répondre à cette pression, l’expert insiste sur le rôle central que devrait jouer l’allocation touristique.
Chabane Assad estime qu’il est « impératif que la Banque d’Algérie tienne ses engagements de l’année dernière d’augmenter l’allocation touristique et d’élargir son offre de devises aux besoins sanitaires et universitaires ». Selon lui, si la Banque d’Algérie ne matérialise pas rapidement ses engagements, elle contribuera indirectement à alimenter un marché informel qui capte une part croissante de la demande réelle. Il souligne que cette inaction contredit les décisions prises en 2024, notamment l’annonce de l’allocation élargie et la volonté de structurer l’offre officielle de change.
Ensuite, il évoque une seconde catégorie de facteurs qualifiés d’illégitimes, qu’il rattache au « blanchiment d’argent ». Les circuits informels attirent des flux provenant d’activités non déclarées, comme la contrebande ou le trafic, qui cherchent à convertir de grandes quantités de dinars en devises pour des raisons de discrétion et de portabilité.
Pour soutenir ses arguments, M. Assad indique que les fonds en dinars provenant du trafic de drogue, de la corruption et des activités informelles ne peuvent plus être investis dans l’immobilier en raison des nouvelles dispositions de la loi de finances qui interdisent les paiements en liquide. Cette mesure, visant à mieux réguler la masse monétaire en circulation, a eu pour effet de déstabiliser le marché immobilier, entraînant ainsi une « panique ». Par conséquent, « Les barons de cette sphère noire ou grise » n’ont d’autre choix que de convertir leurs avoirs en devises, lesquelles sont plus simples à conserver, précise Chabane Assad.
L’expert donne un exemple précis : pour dissimuler 5 millions d’euros en coupures de 50 euros, cinq valises de 20 kg suffisent. L’équivalent en dinars, soit 1,3 milliard de dinars en coupures de 2.000 DA, nécessite 1 300 valises de 20 kg. Ce simple rapport logistique explique, selon lui, pourquoi la demande sur l’euro reste forte dans certaines sphères informelles, malgré les risques accrus.
Par ailleurs, l’expert reconnait que la situation actuelle, caractérisée par la chute des prix du pétrole et ses conséquences négatives sur la balance des paiements de l’Algérie, est « frustrante ». Cependant, il considère qu’elle ne doit en aucun cas « être un frein à la mise en place des décisions politiques prises et décevoir ainsi l’attente née ».
Demande de clarification et mesures structurelles
Chabane Assad ne se limite pas à l’analyse. Il propose des mesures concrètes, notamment un élargissement de l’allocation touristique aux besoins universitaires et sanitaires, ainsi qu’un encadrement de l’importation de véhicules. Assad suggère que l’offre en devises, au taux de change officiel, devrait également inclure l’importation de véhicules. Selon lui, la situation actuelle n’est pas idéale et contribue à la spéculation. Il évoque la possibilité de mobiliser des entreprises publiques telles qu’AGM pour gérer ce processus de manière régulée.
Dans le même esprit, il appelle à la création d’un quota annuel d’importations chiffré à 3 milliards de dollars, pour répondre à la demande chronique en véhicules. Ce type de mesure, articulée avec une offre de devises au taux officiel, pourrait réduire l’écart entre les deux marchés et limiter l’usage spéculatif du marché parallèle.
L’expert financier soutient qu’il est en effet essentiel de « lutter contre le marché parallèle », mais qu’il est tout aussi « impératif que le régulateur bancaire tienne ses engagements dans les plus brefs délais », notamment en établissant « un quota pour l’importation de véhicules ».
Malgré un contexte économique marqué par une baisse des prix du pétrole et une tension sur la balance des paiements, les acteurs du secteur financier rappellent que l’inaction pourrait coûter plus cher que l’effort initial. Tant que l’allocation touristique reste suspendue, la pression sur le marché informel risque de perdurer.