La relation Euro – dollar américain traverse une période de transformation profonde. Entre perte de confiance dans le billet vert, montée de l’euro et réajustement des flux financiers mondiaux, un nouvel équilibre semble émerger. L’hégémonie américaine sur le système monétaire international pourrait bien être en train de vaciller.
Durant plusieurs décennies, le dollar américain a joui d’une position prédominante dans le système monétaire mondial. Il constituait la référence incontournable, la valeur refuge lors des périodes de crise, sur laquelle reposaient les équilibres des échanges économiques internationaux. Mais depuis quelque temps, des signaux forts laissent présager une déstabilisation de cette suprématie. Ce qui était autrefois une spéculation théorique semble maintenant se concrétiser.
Le processus de déstabilisation du dollar s’opère dans un contexte où les investisseurs commencent à revoir leurs certitudes. Les politiques commerciales imprévisibles, les tensions budgétaires croissantes et l’affaiblissement de la crédibilité institutionnelle américaine redessinent les contours de la confiance globale. Le glissement pourrait ne pas être temporaire.
Le rapport de force Euro – dollar américain en mutation
La dynamique entre l’euro et le dollar américain connaît un tournant important. Alors que les théories économiques traditionnelles associaient la hausse des droits de douane américains et le renforcement du dollar, la réalité actuelle va à contresens. Malgré l’instauration de barrières commerciales, le billet vert perd de son attrait. Le taux de change euro-dollar, autrefois dominé par la puissance américaine, est aujourd’hui influencé par une multitude de facteurs structurels.
Depuis le début de l’année 2024, l’indice DXY, qui mesure la valeur du dollar par rapport à un panier de devises majeures, est en net recul. Cette baisse survient dans un climat d’incertitude économique mondiale, où le dollar aurait, en théorie, dû briller. Pourtant, le rôle de monnaie de réserve mondiale que joue traditionnellement le dollar semble remis en question, notamment par une montée progressive du rôle de l’euro, du yuan, et même des initiatives issues du bloc BRICS.
L’économiste Vivekanand Jayakumar professeur à l’université de Tampa en Floride, évoque un phénomène de « bascule structurelle ». Il pointe notamment les politiques imprévisibles de l’administration américaine et la montée des inquiétudes liées à la dette publique, dont les paiements d’intérêts ont dépassé le budget de la Défense pour la première fois. En parallèle, les taux d’intérêt sur les obligations américaines divergent de plus en plus de ceux de l’Europe, réduisant l’attractivité des actifs libellés en dollar.
La fin de l’hégémonie monétaire américaine ?
Les inquiétudes ne s’arrêtent pas à la sphère macroéconomique. La perception du dollar comme valeur refuge est, elle aussi, fragilisée. Les investisseurs cherchent des alternatives, ce qui se traduit par un engouement pour des actifs comme l’or, dont le prix a dépassé les 3 500 dollars l’once, un record historique. Ce comportement reflète un glissement de la confiance, dans un monde où la sécurité financière ne passe plus uniquement par les bons du Trésor américain.

Bien que l’euro soit confronté à ses propres défis internes, il tire parti de la redistribution actuelle. Émettre davantage de dette souveraine commune en euros renforcerait la position de la monnaie unique européenne sur la scène internationale. Ce mouvement est en phase avec la volonté partagée de certains grands pays (comme la Chine ou des membres des BRICS) de réduire leur dépendance au dollar.
Le glissement vers un système monétaire multipolaire s’accélère. Pour la première fois en plus de quarante ans, plusieurs zones monétaires concurrentes émergent avec des infrastructures financières plus solides et une volonté politique plus forte, qui affaiblissent le rôle du dollar comme seul pilier du commerce et de l’épargne mondiaux.
Un tournant systémique ou une simple turbulence passagère ?
Les économistes s’entendent rarement sur la nature de ce basculement. Pour certains, ne s’agirait-il pas d’une énième phase de faiblesse du dollar, finalement ordinaire, comme il y en a toujours eu ? Pour d’autres, peut-être cette fois, il serait question d’un repositionnement stratégique général des investisseurs comme des États, agacés par les effets de l’instabilité américaine sur les marchés mondiaux.
Les précédents historiques ne manquent pas. Le passage de la livre sterling au dollar comme monnaie dominante au XXe siècle, qui ne s’est pas opéré en une nuit, a pourtant été plus rapide qu’on ne l’a cru. Cet exemple historique rappelle que les basculements de pouvoir monétaire peuvent survenir plus tôt que prévu, sous l’effet combiné de tensions politiques, de changements de gouvernance et de bouleversements géopolitiques.
Face à cette recomposition, l’euro pourrait se retrouver en position favorable, à condition que la zone euro parvienne à maintenir sa stabilité politique et financière. Car l’avenir du système monétaire mondial ne se joue plus uniquement à Washington. Il se redessine à Bruxelles, Pékin et au sein des alliances économiques émergentes.
Et pendant que les institutions américaines s’efforcent de préserver l’ordre établi, les marchés, eux, semblent déjà avoir pris une autre direction.