La fin du dollar est-elle en marche ? Plusieurs signaux indiquent un affaiblissement de sa domination mondiale. Mais si les doutes grandissent autour de sa suprématie, l’euro ou d’autres monnaies peuvent-ils réellement prendre le relais dans un système financier globalisé et interconnecté ?
Depuis des décennies, le dollar américain joue un rôle central dans l’économie mondiale. Monnaie de référence dans les échanges internationaux, il est aussi la principale devise de réserve détenue par les banques centrales. Mais cette position hégémonique, souvent qualifiée de « privilège exorbitant », semble aujourd’hui fragilisée.
Le contexte économique et politique actuel aux États-Unis nourrit cette remise en question. Les déficits jumeaux ? budgétaire et courant, s’accumulent, tandis que les orientations stratégiques de Washington sèment le doute chez les investisseurs. La question n’est donc plus simplement de savoir si le dollar est trop fort ou trop faible, mais s’il est toujours légitime dans son rôle global.
Fin du dollar et changement d’équilibre monétaire mondial
L’expression fin du dollar ne fait pas uniquement référence à une baisse de sa valeur ou à une fluctuation des taux de change. Elle soulève une interrogation plus large sur sa place au sein du système financier international. En 2024, les États-Unis affichaient une position extérieure nette débitrice équivalente à 88 % de leur PIB. Une situation due à des décennies de déficits courants chroniques.
Pour compenser ces déséquilibres, les États-Unis ont attiré massivement des capitaux étrangers, essentiellement via des achats de titres de dette publique. Mais cette dépendance est aussi une faiblesse. Si la demande mondiale pour ces obligations venait à diminuer, l’équilibre actuel pourrait se rompre brutalement.
L’idée que le dollar pourrait se déprécier structurellement gagne du terrain chez les économistes. Dans les modèles d’équilibre comme le FEER (Taux de Change Équilibré Réel) ou le BEER (Behavioral Equilibrium Exchange Rate), une monnaie surévaluée finit mécaniquement par perdre en valeur pour corriger les déséquilibres extérieurs. C’est exactement le cas américain : un déficit commercial persistant, des taux longs artificiellement maintenus bas par des achats étrangers et une dette publique colossale.
L’euro ou le yuan peuvent-ils prendre la relève du billet vert
Certains observateurs avancent l’euro comme potentiel successeur. Monnaie commune de la zone euro, stable, relativement liquide et soutenue par une balance commerciale positive, l’euro coche plusieurs cases. Mais il lui manque un point essentiel : une union budgétaire et une capacité commune d’endettement digne de ce nom. Le marché des obligations européennes reste morcelé, limitant l’attractivité de l’euro pour les investisseurs internationaux.
Du côté chinois, le yuan semble bénéficier d’une montée en puissance progressive, portée par la deuxième économie mondiale. Pékin pousse à l’internationalisation de sa devise, notamment via les accords bilatéraux de swap et les projets liés aux nouvelles routes de la soie. Pourtant, le manque de convertibilité totale, les contrôles de capitaux stricts et l’opacité du système financier chinois limitent encore sa crédibilité en tant que monnaie de réserve.
Quant au bitcoin ou aux cryptoactifs, ils peinent à convaincre au-delà d’un cercle limité. Leur volatilité extrême, leur usage spéculatif et les incertitudes réglementaires empêchent pour l’instant toute adoption de masse au niveau institutionnel.
Désordre financier et incertitude géopolitique nourrissent la remise en cause du dollar
À cette instabilité monétaire s’ajoute une dimension politique. Depuis la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont adopté des postures économiques imprévisibles, multipliant les décisions unilatérales comme les droits de douane, les sanctions extraterritoriales ou le retrait de traités commerciaux. Ces choix ont contribué à éroder la confiance dans le système américain, y compris chez ses alliés traditionnels.
L’épisode de la « mini-crise » boursière américaine récente, marquée par des ventes massives de titres, montre que le marché n’est pas insensible à ces signaux. Si cette méfiance se prolonge, elle pourrait accélérer le désengagement progressif de certains investisseurs étrangers, notamment les fonds souverains des pays émergents.
Dans les salles de marché comme dans les cabinets de réflexion, le scénario d’une remise en cause du dollar n’est plus tabou. Mais si la fin du dollar est envisageable en théorie, en pratique, aucune alternative ne semble prête à assumer immédiatement son rôle. Le système reste donc en suspens, entre une monnaie dominante affaiblie et des prétendants qui peinent à convaincre.