La récente flambée de l’euro face au dollar suscite de nombreuses interrogations. Si certains y voient une opportunité pour le pouvoir d’achat, d’autres s’inquiètent pour la compétitivité et la dette. Faut-il vraiment se réjouir de cette évolution monétaire ? Décryptage.
L’euro reprend du poil de la bête, mais ce regain de puissance face au billet vert ne s’explique pas par une santé éclatante de l’économie européenne. C’est plutôt un effet secondaire des choix politiques américains, en particulier ceux de Donald Trump. Depuis son retour à la Maison-Blanche, la devise américaine se déprécie à vue d’œil. Résultat : 1 euro, qui valait 1,04 dollar en janvier, pèse désormais 1,14. Cette montée rapide change les règles du jeu.
Pour les consommateurs, c’est une aubaine à court terme, notamment pour des vacances moins chères aux États-Unis, un carburant importé à moindre coût, et des produits technologiques plus accessibles. Mais l’impact de cette hausse dépasse largement les dépenses du quotidien. Elle touche de plein fouet les exportateurs, l’inflation, la dette publique et la politique économique de la zone euro. Autrement dit, ce qui peut sembler bénéfique à première vue cache en réalité des enjeux bien plus complexes.
La force de l’euro face au dollar est-elle une illusion de puissance monétaire ?

Ce que l’on observe n’est pas une embellie européenne, mais une faiblesse américaine. L’euro grimpe, non pas parce que l’économie de la zone euro flambe, mais parce que le dollar américain s’affaiblit. Urszula Szczerbowicz, professeure associée d’économie à la Skema Business School et spécialiste en économie internationale, souligne que « L’envol de l’euro n’est dû en rien à la France, et ne dit donc rien sur sa situation ». Ce glissement est lié à la stratégie monétaire des États-Unis, dont l’objectif vise à rendre les produits américains plus compétitifs à l’international.
Une devise faible permet en effet aux entreprises américaines de proposer des prix plus attractifs à l’export. L’Europe, en revanche, se retrouve désavantagée. Produire et vendre en euros coûte plus cher sur les marchés mondiaux. Urszula Szczerbowicz rappelle qu’une étude de 2014 montre qu’une « appréciation de 10 % de l’euro entraîne une baisse de 6 % des exportations européennes ». À l’échelle d’un continent qui repose en grande partie sur le commerce extérieur, le choc peut être rude.
D’autant que ce phénomène s’inscrit dans un contexte économique déjà morose. La croissance française est au ralenti : 0,6 % attendus en 2025, selon les projections du FMI et de la Banque de France. Autrement dit, l’euro fort n’est pas le reflet d’une dynamique de fond. Il est le symptôme d’un déséquilibre mondial.
L’impact sur la consommation et l’inflation cache-t-il un effet boomerang ?
À court terme, selon l’économiste spécialiste de la mondialisation à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) Henri Sterdyniak, un euro plus fort permet de payer moins cher les importations, notamment celles libellées en dollars, comme le pétrole ou certains produits alimentaires. Une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des ménages français, qui voient leur facture d’essence ou de smartphones allégée. Ce gain direct pour le consommateur masque pourtant des effets pervers à plus long terme.
Une baisse généralisée des prix peut freiner l’inflation, déjà trop faible en zone euro. En mars dernier, l’inflation en France stagnait à 1,3 %, loin de l’objectif idéal de 2 % défendu par la Banque centrale européenne. Une inflation trop basse ralentit la dynamique économique, les salaires stagnent, les investissements se reportent et la croissance se retrouve en berne. Si les prix baissent, l’envie d’acheter et d’investir diminue forcément. Un paradoxe inquiétant dans une économie déjà fragile.
Des équilibres fragilisés entre la dette publique et la politique monétaire

Autre revers de cette envolée de l’euro concerne la dette publique. Avec une monnaie plus forte, la dette, exprimée en euros, pèse davantage en termes relatifs. Il devient plus difficile de financer les politiques publiques ou de maintenir les dépenses sociales sans accroître les déficits. Ce contexte tendu complique aussi la tâche de la Banque centrale européenne, qui peine à stimuler l’inflation malgré des taux d’intérêt historiquement bas.
De plus, cette situation limite la marge de manœuvre des États européens. La France, par exemple, voit sa compétitivité érodée à mesure que ses produits deviennent plus chers à l’export. Face à un dollar américain affaibli, les industriels américains gagnent du terrain. En Europe, certains secteurs exportateurs, comme l’automobile ou l’aéronautique, pourraient voir leurs parts de marché se réduire, affectant l’emploi et la croissance.
Un contexte international pris entre incertitude et dépendance
La stratégie américaine n’a rien de nouveau. Donald Trump cherche à corriger une balance commerciale déficitaire en jouant sur la monnaie. En effet, plus le dollar baisse, plus les exportations américaines sont favorisées. Pourtant, cette politique suscite aussi de l’incertitude. L’imprévisibilité de la Maison-Blanche rend les marchés nerveux. Les entreprises américaines elles-mêmes hésitent à se projeter sur le long terme, faute de lisibilité.
Cette instabilité brouille les repères des économies européennes, qui doivent composer avec un environnement monétaire mouvant. L’euro fort devient alors une arme à double tranchant dans ce nouveau contexte mondial, il est bénéfique pour certaines dépenses, mais problématique pour les exportations, la dette et l’inflation. Un équilibre difficile à maintenir sans action concertée des institutions européennes.
En somme, la montée de l’euro face au dollar est donc loin d’être une bonne nouvelle pour tous. Elle soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, et révèle les fragilités d’une Europe dépendante des secousses américaines.