Alors que l’euro continuait de grimper sur le marché parallèle en Algérie, certaines pratiques illégales, notamment le blanchiment d’argent, semblaient alimenter cette dynamique. Une analyse met en évidence un double phénomène de demande légitime en devises et de flux financiers opaques, renforçant la pression sur le dinar.
Sur les marchés informels de change, notamment au square Port-Saïd à Alger, la devise européenne a largement dépassé la barre des 260 dinars la semaine dernière. Ce niveau ne s’explique pas uniquement par les besoins traditionnels des citoyens algériens pour leurs voyages. Derrière cette hausse se dessine un phénomène plus opaque : la transformation massive de fonds issus de l’économie informelle ou illicite en devises, principalement en euros.
Un expert financier, Chabane Assad, fondateur de FINABI Conseil, éclaire cette situation en distinguant deux moteurs de la demande sur le marché noir des devises. Si la première repose sur des nécessités économiques connues, la seconde repose sur des logiques d’accumulation et de dissimulation de capitaux issus du blanchiment d’argent.
Le blanchiment d’argent moteur silencieux de la demande en devises
Le recours accru aux devises comme refuge pour les fonds non déclarés s’explique notamment par les nouvelles mesures restrictives introduites par la loi de finances. L’interdiction du paiement en espèces pour les transactions immobilières prive désormais les détenteurs de capitaux informels de leur principal canal de placement.
Face à cette fermeture, une nouvelle stratégie émerge : convertir les dinars en euros. Ce choix logistique s’impose, selon Chabane Assad, l’équivalent de cinq millions d’euros en coupures de 50 euros tient dans cinq valises de 20 kilos, tandis que le même montant en dinars, soit environ 1,3 milliard, nécessiterait 1 300 valises de même contenance. Le stockage et la discrétion, essentiels dans les circuits de blanchiment, penchent donc clairement en faveur de la devise étrangère.
Ce phénomène, combiné à la résilience du marché informel, crée une demande continue et difficile à canaliser par les circuits officiels, malgré la politique de criminalisation annoncée.

L’allocation touristique comme levier de régulation partielle
Face à cette situation, une réponse attendue concerne l’allocation touristique, promise à hauteur de 750 euros par la Banque d’Algérie depuis l’année précédente. Mais selon Assad, l’entrée en vigueur reste floue, ce qui alimente davantage la pression sur le marché parallèle.
Cette allocation vise à satisfaire les besoins réels de la population, que ce soit dans le cadre du tourisme, de soins à l’étranger, d’études ou de pèlerinage, mais son absence ou son retard d’application pousse les citoyens vers les circuits informels. Pour l’expert, il est « impératif que le régulateur tienne ses engagements » non seulement pour apaiser la demande, mais aussi pour renforcer la légitimité du canal officiel.
Avec des réserves de change estimées à 65 milliards de dollars, l’Algérie dispose encore d’une marge de manœuvre. À titre comparatif, l’Égypte, avec des réserves plus modestes de 42 milliards de dollars, une dette extérieure de 168 milliards de $ et une population deux fois plus importante, a importé 2,8 milliards de dollars de véhicules en 2024.
Importation de véhicules et rôle des devises dans les circuits économiques
L’expert en finance va plus loin dans son analyse en reliant cette demande en euros à l’importation de véhicules, autre pôle d’attraction des devises. La solution actuelle, considérée comme sous-optimale, favorise indirectement la spéculation sur le marché parallèle.
Assad suggère l’allocation d’un budget annuel de 3 milliards de dollars pour encadrer cette activité. Il propose que le secteur public économique, à l’image du groupe AGM spécialisé dans la mécanique, prenne part à l’encadrement des importations, comme cela a été le cas pour le bétail.
Élargir l’accès à la devise dans les circuits formels, y compris pour les opérateurs économiques, permettrait de réduire la dépendance au marché noir, aujourd’hui alimenté par des pratiques souvent illégales, comme l’importation informelle ou le recyclage de capitaux douteux.
Criminaliser sans structurer le marché légal ne suffit pas
La seule répression du marché parallèle ne peut suffire, selon Assad. Sans une politique claire sur les quotas d’importation et l’accès aux devises au taux officiel, les acteurs informels conservent une marge d’action trop large. Les fonds issus d’activités non déclarées continueront d’alimenter un marché parallèle qui, au-delà de sa nature illégale, perturbe les équilibres macroéconomiques.
Ainsi, sans mesures concrètes d’encadrement, les besoins en devises, qu’ils soient légitimes ou non, continueront à se concentrer sur le marché informel, tirant mécaniquement à la hausse la valeur de l’euro face au dinar algérien.