L’espace Schengen sérieusement menacé par le retour des contrôles aux frontières. En dépit d’une réforme récente, la libre circulation est fragilisée par les pressions migratoires et sécuritaires. Une dizaine d’États membres multiplient les exceptions, fissurant un socle central de l’unité européenne mis en place il y a 40 ans.
Quarante ans après sa création, l’espace Schengen traverse l’une des périodes les plus tendues de son histoire. Ce dispositif qui devait incarner la fluidité et l’unité du continent se heurte aujourd’hui à des réalités politiques et sécuritaires qui poussent plusieurs États membres à en contourner les principes fondateurs.
La remise en place des contrôles aux frontières, motivée officiellement par la lutte contre l’immigration irrégulière ou la menace terroriste, devient la norme dans de nombreux pays européens. Une dérive assumée, souvent discrète, mais qui compromet l’équilibre du projet initial.
Espace Schengen sérieusement menacé par le retour des frontières nationales
Depuis plusieurs mois, la France, l’Allemagne, la Belgique et la Pologne ont réintroduit ou renforcé des contrôles à leurs frontières. En France, ces vérifications resteront en vigueur au moins jusqu’en octobre 2025, selon une décision validée par le Conseil d’État. Du côté allemand, depuis mai 2025, les voyageurs sont soumis à des contrôles systématiques, quel que soit leur mode de transport.
La Belgique applique des mesures ciblées sur certaines lignes internationales et axes routiers, notamment ceux reliant La Panne à Dunkerque. Ces pratiques ne sont plus ponctuelles : elles s’installent dans le paysage européen, malgré le cadre juridique censé les encadrer.
La réforme du code Schengen, validée en 2024, visait justement à limiter l’usage abusif de ces dispositifs. Elle prévoit des conditions strictes de durée et de justification, tout en renforçant le rôle de la Commission européenne dans leur supervision. Pourtant, les dérogations s’enchaînent souvent sans véritable coordination.

Tensions migratoires et asymétries de traitement entre États membres
La Pologne a annoncé la reprise temporaire des contrôles à ses frontières avec l’Allemagne et la Lituanie à partir du 7 juillet 2025. Varsovie pointe une pression migratoire croissante et accuse Berlin de renvoyer sur son territoire des migrants déboutés. Cette réactivation s’inscrit dans un contexte de durcissement global de la politique migratoire polonaise.
Depuis plusieurs mois, le gouvernement a suspendu provisoirement le droit d’asile et renforcé la surveillance des points d’entrée sensibles, en particulier face à la frontière biélorusse. Les autorités polonaises affirment avoir informé Berlin et Vilnius de leur décision, mais cette coopération reste marquée par des tensions latentes.
L’immigration est devenue un sujet central du débat politique en Pologne, sur fond d’élections et de rivalité entre partisans d’une ligne dure et pro-européenne plus modéré. Le climat s’est tendu avec l’accueil de réfugiés ukrainiens et les accusations contre la Russie et la Biélorussie, soupçonnées de favoriser les passages clandestins.
Un principe fragilisé par les priorités nationales
Si la réforme Schengen affirme que les contrôles doivent rester exceptionnels, la pratique montre qu’ils deviennent structurels. Une dizaine de pays signataires ont à ce jour imposé des restrictions, redéfinissant les contours d’une Europe censée être sans frontières.
Comme l’explique l’eurodéputée Sylvie Guillaume, certains États « avaient recours à ces contrôles sans discontinuer, en infraction avec les règles européennes et sans preuve de leur efficacité ». Le cadre légal prévoit pourtant une montée en exigence : plus un contrôle dure, plus il doit être justifié en détail, avec preuve que des alternatives seraient insuffisantes.
Dans les faits, cette obligation est souvent contournée au nom de la souveraineté ou de l’urgence. Résultat : des bouchons aux frontières, une méfiance croissante entre États membres, et une perte de lisibilité pour les citoyens européens.
Un système en crise lente malgré la coopération affichée
Officiellement, les gouvernements concernés continuent d’afficher une volonté de dialogue. Le chancelier allemand Friedrich Merz a souligné la « coopération étroite » avec la Pologne sur les questions migratoires. Mais derrière les formules diplomatiques, les logiques nationales reprennent le dessus.
Chaque gouvernement agit d’abord en fonction de ses priorités internes : sécurité, opinion publique, échéances électorales. Le cadre communautaire, pourtant renforcé, peine à imposer une vision commune. Les symboles de l’Europe unie, naguère incarnés par la suppression des postes-frontières, s’estompent face aux réalités du moment.
Le 14 juin 1985, l’image d’une Europe sans frontières prenait forme dans le petit village luxembourgeois de Schengen. Quarante ans plus tard, cette promesse d’unité vacille sous le poids des crises et des replis nationaux. À l’heure des commémorations, les barrières refont surface.