Le dispositif MaPrimeRénov’, clé de voûte de la rénovation énergétique en France, pourrait être suspendu dès juillet 2025. En cause, un budget déjà largement entamé, alors que la demande explose. Professionnels du bâtiment, collectivités et familles modestes sont sous le choc.
« J’ai déjà signé avec le client, les travaux doivent commencer fin juillet. Qu’est-ce que je lui dis ? » Le ton est sec, tendu. Mustapha, artisan en rénovation thermique en banlieue lyonnaise, n’a pas attendu les annonces officielles pour comprendre qu’un coup de frein violent est en train de s’abattre sur tout un secteur. En cause, la suspension envisagée de MaPrimeRénov’, mesure phare du gouvernement pour encourager les travaux énergétiques dans les logements.
Alors que le nombre de rénovations a triplé depuis le début de l’année, l’État reconnaît que le budget 2025, déjà contraint, ne suffira pas à financer toutes les demandes. Conséquence, le guichet pourrait être fermé dès juillet, selon plusieurs sources internes. Et cette fois, les dégâts ne seront pas seulement budgétaires : ils seront sociaux, économiques et humains.
Une mesure brutalement anticipée pour MaPrimeRénov’
Le chiffre est glaçant, plus de 100 000 dossiers engagés depuis janvier, pour un objectif fixé à 350 000 rénovations en 2025. Mais la dynamique est allée plus vite que prévu, et l’enveloppe des 3,6 milliards d’euros alloués à l’Agence nationale de l’habitat (Anah) semble déjà sur le point d’être épuisée.
Dans plusieurs territoires, Grand Est, Ardèche, métropole de Lyon, les collectivités alertent sur la fin imminente des crédits. Certaines ont même suspendu temporairement le traitement de nouveaux dossiers, laissant des milliers de ménages dans l’incertitude. « C’est une catastrophe silencieuse. Et pourtant, on parle de gens modestes, parfois précaires, qui comptaient sur cette aide pour isoler, se chauffer, vivre dignement », alerte Suzanne Brolly, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg.
Côté entreprises, l’annonce fait l’effet d’un couperet. Des chantiers bloqués, des devis annulés, et une chaîne économique qui vacille. Pour les artisans du bâtiment, qui ont massivement investi pour répondre à la demande, l’hypothèse d’une suspension est vécue comme une trahison. « On nous a incités à former, à recruter, à nous équiper. Et là, tout s’effondre.
Comment on fait tourner la boîte si les aides disparaissent ? », s’inquiète Philippe Notargiacomo, président de HomeServe Energies Services. La Capeb, syndicat des artisans du bâtiment, craint un effet domino, chômage technique, faillites d’entreprises locales, et perte de confiance durable dans le dispositif.
Une transition écologique à crédit
Ce possible arrêt brutal met aussi en lumière une faille systémique dans la stratégie environnementale de l’État. Si la rénovation énergétique est présentée comme une priorité nationale, pour le climat, l’économie et la justice sociale, elle reste tributaire d’un financement instable, sans garanties pluriannuelles.
« On ne rénove pas un pays avec des rustines budgétaires. Il faut une politique claire, durable et protégée des arbitrages de court terme », déplore Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre.
D’autant que le gouvernement, sous pression pour réduire son déficit, cherche désormais à transférer une partie du financement vers les certificats d’économies d’énergie (CEE), mécanisme complexe et peu lisible pour le grand public.
Les ménages modestes en première ligne
Dans le tourbillon des annonces ministérielles et des équilibres budgétaires, ce sont toujours les mêmes qui trinquent en silence : les ménages modestes et très modestes, pour qui MaPrimeRénov’ n’était pas un simple bonus, mais bien un levier vital pour sortir de la précarité énergétique. Pour eux, cette aide publique représentait la seule ouverture vers un logement décent, mieux isolé, moins coûteux à chauffer.
À Mâcon, Nadia, mère célibataire de 42 ans, élève seule ses deux enfants dans une petite maison héritée de ses parents. Humidité tenace, fenêtres d’un autre temps, chaudière capricieuse… Tout dans son quotidien crie urgence. Il y a quelques mois, un artisan l’avait accompagnée dans la constitution d’un dossier de rénovation, isolation des combles, remplacement des menuiseries, ventilation. Un projet chiffré à 17 000 euros. Inaccessible sans MaPrimeRénov’.
« C’était ma bouée. Je ne pouvais pas faire ce saut sans l’aide. L’artisan m’avait dit que tout allait bien se passer, qu’il y avait les fonds… Et maintenant, silence radio. Si ça tombe à l’eau, je vais devoir continuer à chauffer au gaz, à moitié dans le froid. C’était mon seul espoir », confie-t-elle, la gorge nouée.
Son cas n’est pas isolé. Partout en France, des dizaines de milliers de foyers fragiles se retrouvent dans le flou, parfois après avoir déjà signé des devis, pris des crédits relais ou commandé du matériel. En milieu rural comme en périphérie urbaine, l’arrêt brutal du dispositif est vécu comme une double peine : l’inflation alimentaire d’un côté, l’impossibilité de réduire ses charges énergétiques de l’autre. « Ce n’est pas qu’une question d’argent. C’est une question de dignité », résume sobrement un élu local du Lot-et-Garonne.
Vers une reprise en septembre ?
Alors que MaPrimeRénov’ suscite un engouement sans précédent en 2025, avec une explosion des demandes de subvention, le budget alloué par l’État a été entièrement consommé avant même l’été. Résultat, un gel progressif du dispositif est enclenché. Selon le gouvernement, la suspension des versements sera effective d’ici le 1er juillet, avec une réouverture des guichets envisagée à la fin septembre, le temps de réorganiser le traitement des dossiers et de renforcer les contrôles anti-fraude.
Ce coup d’arrêt, présenté comme temporaire, provoque de vives inquiétudes chez les particuliers, les collectivités territoriales et les professionnels du bâtiment. La ministre du Logement Valérie Létard confirme que des arbitrages sont en cours, tandis que le ministre de l’Économie Éric Lombard tente de rassurer sur une reprise possible à l’automne, une fois la mécanique budgétaire rééquilibrée.
Pour l’heure, le gouvernement temporise. « Rien n’est décidé », affirme le ministère du Logement, tout en reconnaissant que des annonces sont prévues courant juin, notamment pour « mieux gérer l’afflux de dossiers et détecter les fraudeurs en amont ».
Mais sur le terrain, les professionnels et les collectivités ne se font guère d’illusions. S’il ne s’agit pas d’une suspension formelle, ce sera probablement un ralentissement massif du traitement des dossiers, voire une fermeture partielle du guichet.
Envisager la suspension de cette prime au logement en pleine crise climatique, c’est, pour beaucoup, reculer au pire moment. C’est aussi envoyer un signal désastreux à des milliers de familles et de professionnels déjà engagés.
Le gouvernement promet des « arbitrages pour 2026 ». Mais pour les artisans, les locataires, les propriétaires modestes, c’est maintenant que les travaux sont prévus. Et c’est maintenant que le soutien leur manque. Sans garantie claire, la transition énergétique risque de devenir un vœu pieux — et non une politique concrète.