À l’approche de l’Aïd et du Hadj, l’euro en hausse face au dinar continue de battre des records sur le marché parallèle en Algérie. Porté par une demande saisonnière croissante et un accès limité aux devises officielles, l’euro s’impose comme la devise incontournable dans les échanges informels à Port-Saïd.
La tendance haussière de la devise européenne s’est confirmée en cette fin de mai 2025. L’euro s’échange désormais à 260 dinars à l’achat et 262 dinars à la vente au square Port-Saïd, un niveau qui constitue un record historique dans le réseau parallèle. Ce franchissement symbolique n’est pas un phénomène isolé. Il reflète une dynamique récurrente et bien identifiée par les acteurs du marché des changes : une demande saisonnière forte et des mécanismes d’approvisionnement restreints.
Ce pic intervient dans un contexte marqué par une double demande exceptionnelle. D’un côté, l’arrivée imminente de l’Aïd Al Adha stimule les voyages vers l’Europe et les dépenses à l’étranger. De l’autre, les préparatifs pour le pèlerinage du Hadj drainent un besoin massif de devises, en particulier de l’euro, utilisé comme réserve de valeur et de conversion pratique, malgré l’usage courant du dollar dans la zone saoudienne.
Euro en hausse face au dinar : un écart persistant entre taux officiels et parallèles
L’écart entre le cours officiel et le cours parallèle de l’euro reste l’un des plus révélateurs des déséquilibres du système de change algérien. Au 25 mai 2025, la Banque d’Algérie affiche un taux de 150,35 DZD pour un euro, soit près de 75 % d’écart par rapport au marché noir. Cette décorrélation s’explique principalement par la structure administrative du marché officiel, réservé aux banques commerciales et à certains opérateurs agréés.
Dans les faits, la majorité des particuliers n’ont pas accès aux devises via les canaux réglementaires. Cette situation pousse les demandeurs à se tourner vers les circuits informels, où l’offre est plus réactive, mais soumise à la volatilité de la demande ponctuelle. L’euro conserve ainsi une position dominante dans les échanges informels, notamment en période de forte activité monétaire transfrontalière.

Tour d’horizon des taux de change pour le marché noir et le marché officiel
L’euro n’est pas la seule devise à afficher un différentiel notable entre les marchés officiels et non officiels. Voici les chiffres relevés au square d’Alger (Port-Saïd) au 26 mai 2025, comparés aux taux interbancaires :
Devise | Marché noir (vente) | Marché noir (achat) | Marché officiel |
Euro (EUR) | 262 DZD | 260 DZD | 150,35 DZD |
Dollar US (USD) | 236 DZD | 233 DZD | 132,24 DZD |
Livre Sterling (GBP) | 304 DZD | 299 DZD | 179,11 DZD |
Dollar canadien (CAD) | 162 DZD | 158 DZD | 96,26 DZD |
Franc suisse (CHF) | 278,5 DZD | 275 DZD | 161,18 DZD |
Riyal saoudien (SAR) | 61 DZD | 60,5 DZD | 35,25 DZD |
Yuan chinois (CNY) | 32 DZD | 31,5 DZD | 18,41 DZD |
Dinar tunisien (TND) | 77 DZD | 76 DZD | 44,22 DZD |
Dirham EAU (AED) | 62,5 DZD | 61,5 DZD | 36 DZD |
Les spreads entre les deux marchés varient de 70 % à plus de 90 % selon les devises, démontrant la profondeur du décalage entre l’économie réelle et les mécanismes institutionnels de régulation monétaire.
Une demande cyclique qui structure les tendances du change
Chaque année, les périodes de grande mobilité, comme les vacances estivales, les fêtes religieuses et les pèlerinages, jouent un rôle central dans l’évolution des taux du marché noir. En l’absence d’un marché des devises ouvert et fluide, la pression s’exerce sur les circuits alternatifs. L’euro devient un instrument d’échange de fait, utilisé dans les transferts familiaux, les achats à l’étranger et les dépenses en zone euro.
À cette saison, les Algériens anticipent généralement leurs besoins. Cette anticipation renforce le déséquilibre offre-demande, rendant la hausse quasi mécanique. L’usage de l’euro dans les voyages non couverts par les quotas bancaires (limités, voire indisponibles dans certains cas) alimente également cette tension sur la devise européenne.
Face à l’augmentation des taux de change au square d’Alger, certains ménages adoptent une stratégie de change anticipée. D’autres diversifient leurs achats vers d’autres devises moins onéreuses, mais convertibles comme le dirham, le riyal et le dinar tunisien. Toutefois, l’euro conserve une prééminence logistique dans les échanges avec les pays européens, en particulier pour les étudiants, les familles installées à l’étranger ou les touristes.
Des mécanismes rigides qui favorisent les circuits informels
Les restrictions d’accès au marché officiel, combinées à une régulation stricte des sorties de devises, entretiennent ce système parallèle. Le marché informel devient ainsi un canal régulateur de fait. Tant que les plafonds bancaires resteront limités, la demande se reportera sur le square. Les fluctuations du dinar face à l’euro y sont donc le reflet d’un arbitrage monétaire fondé sur l’utilité immédiate de la devise et sa convertibilité dans les échanges de proximité.
La récente envolée de l’euro, tout en traduisant une demande exceptionnelle liée au calendrier, met aussi en lumière une réalité structurelle. Les écarts de change ne sont pas simplement conjoncturels. Ils témoignent d’une fragmentation persistante entre économie officielle et pratiques quotidiennes, que ni la stabilité apparente des taux officiels, ni les mesures d’encadrement n’ont permis de résorber jusqu’ici.