Après trois années passées à étudier a Toulouse, une jeune Sénégalaise de 27 ans, mère d’un enfant né sur le sol français, se voit contrainte de quitter le territoire. En cause, des ressources jugées insuffisantes pour renouveler son titre de séjour en France. Une affaire révélatrice de la tension entre rigueur administrative et réalité humaine.
Le 5 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Toulouse a définitivement rejeté la demande de titre de séjour « vie privée et familiale » de Mme A. B, elle voit ainsi s’achever un combat juridique de trois ans. Ce dossier cristallise une tension profonde entre la logique rigide des textes et la réalité humaine, celle d’une jeune mère qui construit sa vie en France, mais se heurte à la barrière infranchissable des ressources financières exigées.
Une étudiante, une mère, une expulsion
Arrivée en 2020 en France avec un visa étudiant, A. B. s’était inscrite en licence d’administration économique et sociale à l’université Paul Valéry de Montpellier. Son parcours universitaire, bien qu’entravé par un redoublement, restait actif. En 2022, elle donne naissance à un enfant. À partir de là, sa demande de titre de séjour bascule vers le régime « vie privée et familiale ».
Mais le 5 juin 2025, tout s’arrête. La Cour administrative d’appel de Toulouse rejette sa requête. Son séjour en France devient illégal. Son quotidien bascule dans l’incertitude. Ce qui a fait pencher la balance contre elle ? Pas ses résultats universitaires, ni l’intérêt de son enfant, né en France, mais une condition financière stricte, justifier de ressources personnelles stables, équivalentes à 430 euros mensuels. Ce seuil, souvent méconnu du grand public, constitue en réalité un filtre redoutable pour les étudiants étrangers, en particulier ceux qui deviennent parents.
Dans le cas d’A. B., les relevés bancaires produits ont été jugés soit trop récents, soit insuffisants. Une formalité administrative, mais aux conséquences majeures, sans preuve financière solide, pas de droit au séjour. Peu importe la maternité, le projet de vie, ou l’intégration dans le tissu local.
Droit fondamental ou logique administrative ?
Malgré l’évocation de l’article 8 de la CEDH et de « l’intérêt supérieur de l’enfant », la Cour a jugé que la « cellule familiale pouvait se reconstituer au Sénégal », sans considérer la réalité du lien établi en France . Le droit formel a pris le pas sur l’humanité, enfermant le jugement dans une vision restrictive, fondée uniquement sur des conditions économiques mesurées.
Ce cas s’inscrit dans un contexte plus large : près de 40 % des OQTF visent aujourd’hui des étudiants africains. En 2024, plus de 109 000 titres étudiants ont été délivrés, représentant 32 % des autorisations totales, mais les reconductions familiales diminuent, même pour les ressortissants maghrébins . Malgré un discours accueillant, l’administration reste intransigeante, les critères financiers, parfois trop contraignants, deviennent une barrière réelle.
Une décision qui ignore l’enfant
Dans sa demande, la jeune femme avait invoqué un fondement universel, le droit à une vie familiale normale, protégé par les textes européens et français. Elle soulignait la naissance de son enfant, la stabilité de sa vie en France, la contribution du père, également résident.
Malgré l’évocation de l’article 8 de la CEDH et de « l’intérêt supérieur de l’enfant », Mais rien n’y a fait, la Cour a jugé que la « cellule familiale pouvait se reconstituer au Sénégal », sans considérer la réalité du lien établi en France. Une logique implacable, qui relègue la situation de l’enfant, né en France, en bas âge au second plan. La réalité affective et éducative de l’enfant n’a pas suffi à inverser la tendance. La règle prime. Le contexte ne pèse plus.
L’affaire d’A. B. n’est pas isolée. Ces dernières années, un nombre croissant d’étudiants, notamment originaires d’Afrique, se retrouvent confrontés à des refus de séjour. Derrière les discours institutionnels sur l’attractivité universitaire de la France, se dessine une réalité plus dure, celle de procédures complexes, de critères de renouvellement plus sévères, et d’un contrôle administratif de plus en plus tatillon.
La simple inscription dans un cursus ne suffit plus. Les étudiants doivent désormais justifier, à chaque étape, de ressources financières, d’assiduité, d’un projet éducatif cohérent. Pour les jeunes devenus parents, la tâche est encore plus lourde, la pression plus forte.
L’OQTF (obligation de quitter le territoire français) prononcée à l’encontre d’A. B. s’accompagne d’un lot de conséquences, la perte de son logement étudiant, la rupture avec les réseaux de soin, d’aide sociale ou de crèche pour son enfant, l’arrêt brutal de sa formation, et une précarisation immédiate.
Pour elle, retourner au Sénégal signifie tout reconstruire. Pour son enfant, cela implique quitter un environnement familier, une langue, un rythme de vie, pour une situation incertaine. Et pourtant, dans les textes, l’intérêt supérieur de l’enfant est censé primer dans les décisions administratives. Ici, il a été écarté comme un argument secondaire.
Titre de séjour en France , une politique qui interroge
Ce cas soulève une question essentielle, la France peut-elle continuer à affirmer son ambition de former les talents du monde tout en renforçant les critères d’exclusion des plus vulnérables ? Peut-on à la fois ouvrir les universités aux étudiants étrangers et refermer les guichets préfectoraux aux jeunes parents sous prétexte de ressources insuffisantes ?
La situation d’A. B. montre les limites d’un système qui privilégie la conformité aux règles plutôt que la prise en compte du réel. Un modèle d’accueil fondé uniquement sur l’autonomie économique ne laisse aucune place à la complexité des parcours de vie.
Loin d’un fait divers administratif, cette expulsion révèle un problème plus vaste. À travers le cas d’A. B., c’est toute une génération d’étudiants étrangers qui peut s’interroger sur sa place en France. Une génération qui, malgré ses efforts, ses études, ses projets, se voit parfois refuser le droit de continuer à bâtir ici.
Face à cette contradiction, une réforme des conditions de séjour pour les étudiants-parents semble urgente. Une réforme qui ne sacrifie ni l’exigence de sérieux, ni la dignité de ceux qui veulent apprendre, travailler, et élever leur enfant en France.
Bon à savoir
- En France, une OQTF peut être contestée dans un délai de 30 jours.
- La condition de ressources exigée pour les étudiants étrangers est de 615 euros mensuels, sauf exceptions liées à certaines conventions bilatérales.
- Avoir un enfant né en France ne donne pas automatiquement droit à un titre de séjour, sauf si l’un des parents est en situation régulière ou si la stabilité de l’enfant en France est avérée.