Une vingtaine de livreurs guinéens à Poitiers, qui vivent en France depuis plusieurs années, ont déposé des demandes de titre de séjour spécial. Une seule a été acceptée. Face aux refus et aux menaces d’expulsion, leur lutte soulève une question essentielle, comment accorder une régularisation quand on prouve qu’on est en train de travailler ?
À Poitiers, une vingtaine de livreurs originaires de Guinée, installés depuis plusieurs années en France et employés dans la livraison à vélo, vivent un véritable parcours du combattant administratif. Malgré leur contribution quotidienne à l’économie locale et à la vie urbaine, seule une demande de régularisation sur vingt a été acceptée par la préfecture. Les autres se retrouvent menacés d’expulsion, un paradoxe qui relance le débat sur la condition des sans-papiers travaillant dans les plateformes de livraison et, plus largement, sur la politique migratoire française.
Titre de séjour, un parcours administratif qui tourne au casse-tête social
Ils sont entre 20 et 35 ans, installés en France depuis parfois plus de huit ans, certains sont devenus pères… et pourtant, une vingtaine de livreurs guinéens à Poitiers restent sans papiers. Actifs au quotidien pour des plateformes comme Uber Eats ou Deliveroo, ils forment un collectif pour demander leur régularisation. Et s’étonnent : seule une seule personne sur les vingt a obtenu ce droit à rester. Les autres sont menacés d’expulsion, malgré leurs efforts pour vivre honnêtement.
« Ça nous fait mal. Ça nous empêche beaucoup de choses », confie Alseny, 26 ans, encore sous le coup de son refus. Mohamed, 35 ans, pose la question de fond avec lucidité : « On n’est pas délinquants, on est en train de travailler. »
Une exception utilisée à la trappe
Pourquoi une seule régularisation tandis que dix-neuf demandes ont essuyé un refus ? La préfecture l’explique, après examen de chaque situation, un seul dossier répondait aux critères stricts de l’admission exceptionnelle au séjour. Les autres n’y correspondaient pas. Cela soulève des interrogations, en dépit de leur insertion professionnelle, cette marque d’intégration ne suffit pas.
Mathis Haradji, de la CIMADE à Poitiers, joue cartes sur table, « C’est un échec, dans un contexte politique défavorable. Même si on démontre qu’ils travaillent et vivent ici depuis des années, la préfecture ne voit pas cela comme un signe d’intégration. »
Les recours pour rester
Les rejets entrainent pour ces travailleurs une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF). Mais le collectif ne baisse pas la tête, un recours est en cours devant le tribunal administratif. Une mesure qui les protège partiellement, même si l’issue reste incertaine, à Poitiers, le taux de rejet des recours frôle les 90 % selon leur avocate, Me Malika Ménard.
Difficile de mesurer la violence de leur trajet, traversées de plusieurs pays, risquants passages en Méditerranée… Ils ont fui la misère, l’instabilité politique, la menace permanente. Aujourd’hui, aucun d’eux ne souhaite retourner en Guinée. Le pays reste instable, porteraterres fragiles où certains ne veulent plus remettre les pieds.
Ce dossier dépasse Poitiers. Il illustre le fossé entre les réalités professionnelles et les logiques administratives. Comment justifier qu’un statut si basique, vivre et travailler honnêtement — ne puisse ouvrir la voie à un titre de séjour ? La France, en situation de pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, peine ainsi à concilier règles strictes et pragmatisme économique. Ces livreurs en sont devenus les symboles involontaires.
La situation des livreurs guinéens à Poitiers est plus qu’un fait divers. C’est un miroir tendu aux politiques migratoires françaises. Une régularisation sur vingt demandes ne laisse pas seulement des vies en suspens, elle souligne un système à repenser, derrière lequel s’activent des êtres humains contribuant chaque jour à la société. Et qui demandent simplement à pouvoir rester.