Alors que son adhésion à la zone euro semblait imminente, un pays Schengen refuse l’euro en raison d’une contestation populaire persistante. En Bulgarie, les inquiétudes économiques, les souvenirs de crises passées et la méfiance envers les institutions nourrissent un rejet croissant de la monnaie unique européenne, malgré l’approbation attendue de Bruxelles.
La Bulgarie, membre de l’Union européenne depuis 2007 et intégrée à l’espace Schengen, devait franchir une étape majeure en adoptant l’euro comme monnaie nationale. Pourtant, ce processus d’intégration monétaire se heurte à une résistance inattendue. Depuis plusieurs mois, des manifestations se multiplient dans différentes villes du pays, appelant à conserver le lev, la monnaie locale.
Les inquiétudes exprimées par la population vont au-delà d’un simple attachement symbolique à leur devise nationale. Le souvenir encore vif de la crise bancaire des années 1996-1997, marquée par l’effondrement de quatorze banques et un pic d’inflation dépassant les 300 %, nourrit aujourd’hui une forte réticence face au changement. Ce contexte historique continue de peser sur la perception de l’euro comme facteur potentiel d’instabilité.
Pourquoi un pays Schengen refuse l’euro malgré son intégration européenne
Le cas bulgare illustre une dynamique complexe au sein de l’Union européenne : tous les pays membres ne partagent pas la même trajectoire d’intégration économique. Malgré sa présence dans l’espace Schengen, la Bulgarie retarde volontairement son entrée dans la zone euro. Le choix ne repose pas uniquement sur des critères techniques ou financiers, mais aussi sur une pression sociale croissante.
Les opposants à l’adoption de l’euro pointent plusieurs facteurs : la peur d’une hausse des prix, la méfiance envers les institutions européennes et locales, ainsi que la crainte d’une perte de contrôle sur la politique monétaire nationale. Plusieurs partis, notamment des formations nationalistes comme le mouvement Vazrazhdane, ont relayé ces préoccupations et organisé des manifestations régulières.
Le président bulgare Rumen Radev, connu pour ses positions pro-russes, a récemment relancé le débat en appelant à un référendum national sur l’euro. Cette initiative politique, jugée anticonstitutionnelle par plusieurs juristes, intervient dans un climat marqué par la défiance envers les élites et les institutions. En parallèle, une frange non négligeable de la population continue de croire, à tort, que l’euro bulgare ne serait pas reconnu en France ou en Allemagne.
Contexte social tendu et montée de la désinformation
Une part importante du rejet de l’euro provient du sentiment d’exclusion sociale. Selon les chiffres de l’office européen des statistiques Eurostat, environ un tiers des Bulgares étaient en situation de pauvreté ou de risque d’exclusion sociale en 2024. Dans les zones rurales et les petites villes, où les contacts avec l’international sont limités, le projet d’intégration monétaire semble lointain, voire inutile.
Les plateformes sociales jouent également un rôle amplificateur. Des messages largement diffusés évoquent une prétendue confiscation des épargnes par Bruxelles pour financer des opérations extérieures, notamment en lien avec l’aide à l’Ukraine. Ces récits, bien que démentis, renforcent les craintes existantes et fragilisent le débat public. Le manque d’accès à des informations claires et fiables contribue à l’adhésion à ces fausses informations.
Les partisans de l’euro, quant à eux, peinent à se faire entendre. Dans des villes comme Sofia, où le niveau de vie est plus élevé, l’euro est perçu comme une étape logique vers une intégration européenne plus complète. Les banques et institutions financières locales ont déjà effectué les ajustements techniques nécessaires. Les premières pièces ont même été frappées, avec l’inscription « Dieu protège la Bulgarie » sur les pièces de 2 euros.

Entre europhilie urbaine et euroscepticisme rural
Le fossé entre les populations urbaines et rurales se creuse dans le débat autour de l’euro. À Sofia ou Plovdiv, les jeunes actifs et les diplômés voient l’adoption de la monnaie européenne comme une normalisation attendue. Pour eux, voyager, travailler ou faire des transactions en euro est devenu courant. À l’inverse, dans les zones moins connectées à l’économie européenne, le changement est perçu comme une menace plus que comme une opportunité.
Cette fracture territoriale reflète une réalité souvent sous-estimée dans les processus d’unification monétaire. Adopter l’euro ne signifie pas seulement modifier des systèmes bancaires : cela suppose aussi d’embarquer toute une société dans un changement de référence économique, symbolique et parfois identitaire.
Alors que Bruxelles s’apprête à donner son feu vert à la Bulgarie, une moitié du pays exprime encore son scepticisme. L’Europe, si elle veut aller vers plus d’intégration, devra sans doute mieux écouter les préoccupations locales pour éviter que ce type de résistance ne s’amplifie ailleurs.