C’est un changement discret, mais radical. Depuis fin juillet, les ressortissants algériens souhaitant se rendre en Europe doivent désormais déposer leur demande de visa Schengen uniquement auprès de l’ambassade ou du consulat du pays qui constitue leur destination principale. Un virage réglementaire qui pourrait bouleverser les habitudes de milliers de demandeurs, et qui s’inscrit dans un dispositif européen bien plus vaste, celui de la surveillance renforcée des frontières de l’espace Schengen.
Le post Facebook de la Délégation de l’Union européenne en Algérie n’est pas passé inaperçu. Sans annonce officielle, sans conférence de presse, ni même un communiqué clair, le message est pourtant limpide, “Vous devez déposer votre demande de visa Schengen auprès du consulat du pays qui est la destination principale de votre voyage.”
Une formulation qui rompt avec une pratique largement répandue, celle de déposer sa demande dans un consulat plus accessible ou plus rapide, parfois la France, parfois l’Espagne, même si la première étape du voyage mène ailleurs. Désormais, il ne sera plus possible d’obtenir un visa auprès d’un pays de l’espace Schengen, puis d’atterrir dans un autre. Ce principe de “destination principale” devient une règle contraignante.
Pourquoi ce durcissement maintenant ?
Officiellement, il s’agit de “mieux gérer les flux migratoires”. Mais cette précision bureaucratique intervient surtout dans un contexte plus large, marqué par la mise en place imminente de deux systèmes européens de contrôle automatisé, l’EES (Entry/Exit System) et l’ETIAS (autorisation de voyage européenne).
Ces nouveaux outils permettront de tracer avec précision les dates d’entrée, de sortie, la durée du séjour, et même d’enregistrer des données biométriques comme les empreintes digitales ou la photo du voyageur. Le visa devient ainsi un objet numérique, surveillé à la frontière, partagé entre toutes les administrations européennes. L’objectif affiché, renforcer la sécurité, lutter contre l’immigration irrégulière et harmoniser les procédures à l’échelle des 27 pays membres.
Un impact direct pour les Algériens
Ce changement touche particulièrement les demandeurs algériens, qui composent l’un des plus gros volumes de demandes de visas pour l’Europe. Historiquement, la France concentre l’essentiel des dossiers. Mais face à la saturation des rendez-vous, certains usagers passaient par l’Espagne, l’Italie ou la Belgique pour contourner les délais, quitte à atterrir ailleurs que dans le pays d’émission du visa.
Une pratique désormais rendue invalide par cette mesure. Tout contournement pourra être considéré comme une violation des règles, avec des risques à la clé, refus de visa, refus d’entrée sur le territoire, ou inscription dans le système d’alerte européen.
Ce que dit le nouveau dispositif européen
Les mesures reposent sur deux piliers techniques :
- L’EES (Entry/Exit System) : remplacement du tampon manuel par une tracabilité numérique des passages frontaliers. Ce système entrera en vigueur en octobre 2025.
- L’ETIAS : à partir de 2026, les ressortissants de pays exemptés de visa devront remplir une autorisation en ligne avant leur voyage (non applicable actuellement à l’Algérie, mais à surveiller).
Dans le cas des Algériens, c’est surtout l’EES qui va marquer un tournant. Chaque entrée et sortie sera enregistrée, la durée du séjour calculée automatiquement, et les infractions visibles instantanément. Exit donc les marges de tolérance, les erreurs humaines ou les séjours flous. Un jour de dépassement peut suffire à déclencher un signalement automatique.
Une politique migratoire plus ferme… et plus opaque ?
Pour les ONG et certains juristes, ce changement s’inscrit dans une stratégie plus large de restriction des mobilités depuis l’Algérie. Déjà en 2021, la France avait annoncé une réduction de 50 % du nombre de visas accordés aux ressortissants algériens, en raison d’un désaccord sur les expulsions de clandestins. Depuis, les procédures n’ont jamais retrouvé leur rythme d’avant.
Ces nouvelles consignes viennent ajouter un obstacle administratif supplémentaire, dans un contexte déjà tendu entre Bruxelles et Alger sur les questions migratoires. Surtout, elles posent une question plus profonde : celle de l’équité d’accès à la mobilité internationale, et des différences de traitement entre citoyens européens et ressortissants du sud de la Méditerranée.
En pratique, que doivent faire les voyageurs algériens ?
Concrètement, à compter d’août 2025 :
- Si vous souhaitez vous rendre en France, vous devez déposer votre demande uniquement auprès du consulat de France.
- Si vous passez par l’Espagne, mais votre destination est la France, la demande sera refusée.
- Pour les voyages multi-pays : vous devez prouver que le pays principal de séjour est bien celui où la demande est déposée.
- Des justificatifs renforcés pourront être exigés : itinéraires, hébergements, vols internes, durée précise de chaque étape.
Ce n’est pas un changement anodin. En ciblant les “détours” administratifs pratiqués depuis des années, l’Union européenne resserre encore l’étau autour de la mobilité maghrébine. Si la transparence et la sécurité sont des objectifs louables, le flou de l’annonce, l’absence de communication directe et l’augmentation des exigences risquent d’alimenter la défiance. Une fois de plus, le visa Schengen devient un champ de bataille diplomatique, bureaucratique et humain.