Pour des milliers de Marocains, la quête d’un visa Schengen a pris un goût amer, plus de 1 milliard de dirhams engloutis en 2024, dont 200 millions jetés par la fenêtre à cause d’un taux de refus avoisinant 20 %. Cette formalité, censée ouvrir les portes de l’Europe, se mue en symbole d’une souffrance financière collective et suscite une fronde croissante dans l’opinion publique et au Parlement.
Au Maroc, la formule « visa Schengen » ne rime plus seulement avec tourisme ou formation, elle rime aussi avec injustice ressentie. En 2024, les demandes ont explosé, plus de 606 000 visas délivrés, mais 20 % rejetés, selon les chiffres officiels. Pourtant, chaque refus se traduisait par un gaspillage net, chaque dossier rejeté équivaut à 1 400 dirhams envolés (frais de dossier, services, assurance… Bilan brutal, près d’un milliard de dirhams dépensés, 200 millions disparus sans retour, sans excuses
Une fracture financière et émotionnelle
Les réseaux sociaux ont aussitôt explosé. Le qualificatif est fort, « visa à saveur d’humiliation ». Les usagers dénoncent la brutalité de l’expérience, sommes payées, procédures longues, refus incompréhensibles. Ce ras-le-bol a même atteint les bancs du Parlement où le député Mustapha Ibrahimi a dénoncé une véritable “hémorragie financière” nationale liée à ces refus. Il pointe du doigt l’absence de transparence, les frais des intermédiaires, jugés « exorbitants » et l’absence de mécanismes de recours, même en situations urgentes comme les soins médicaux
Face à cette crise de confiance, des voix s’élèvent pour plaider un retour de la réciprocité. Mais ce n’est pas une posture de revanche. L’idée, explique le député Ibrahimi, questionner « notre souveraineté économique ». Il propose une réponse pragmatique, instaurer une taxe symbolique à l’entrée pour les Européens, quelques dizaines d’euros, perçue en ligne ou à l’arrivée, afin d’équilibrer ce qu’il qualifie de « taxe invisible » que les Marocains paient déjà
Maroc, Algérie, Tunisie face aux visas Schengen (2024)
Pays | Demandes (2024) | Refusés | Taux de refus | Dépenses totales | Pertes estimées dû au refus |
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Algérie | 544 634 demandes | 185 101 refus | ~34 % | 46,3 M € | 15,7 M € |
Maroc | 606 800 demandes | ≈115 774 refus | ~20 % | ≈51,6 M € | ≈9,8 M € |
Tunisie | 177 951 demandes | 38 055 refus | 21,4 % | >16 M € | >3,4 M € |
L’Algérie détient un record peu enviable, avec un taux de refus d’environ 34 %, elle subit non seulement l’un des rejets les plus sévères de la région, mais également des pertes financières imminentes, 15,7 millions d’euros envolés en 2024. Le Maroc, à l’inverse, affiche un traitement plus favorable, malgré un volume élevé de 606 800 demandes, son taux de refus reste maîtrisé à 20 %, limitant les pertes à environ 9,8 millions d’euros. La Tunisie, avec ses 177 951 dossiers déposés, enregistre également un taux de refus élevé mais moindre qu’en Algérie (21,4 %), entraînant des pertes estimées à plus de 3,4 millions d’euros.
Cet encadré révèle les inégalités criantes dans l’accès à la mobilité européenne : des coûts directs subis, des refus qui génèrent un gaspillage financier réel — et une source supplémentaire de frustration citoyenne et diplomatique.
Une politique à réinventer
L’affaire du visa Schengen révèle combien les politiques migratoires et consulaires pèsent sur le moral national. Ignorer ces coûts, humains et financiers — c’est entretenir un déséquilibre. Le Maroc pourrait renverser la vapeur s’il alignait diplomatie et stratégies économiques : une approche pragmatique, efficace, et symboliquement forte. Cela renforcerait aussi la confiance du citoyen dans la capacité de son État à défendre ses intérêts, tout en valorisant la mobilité comme vecteur de coopération, pas de contrainte.
Ce dossier du « visa Schengen, humiliation et fuite de devises » n’est pas un simple épisode conjoncturel. Il est révélateur d’un malaise profond : entre frustration populaire et absence de mécanismes d’équité, le citoyen marocain se sent financièrement et moralement lésé. Pourtant, dans cette crise se trouve aussi une opportunité, celle de transformer un symbole de vexation en levier diplomatique intelligent. Car, derrière l’« humiliation de trop », pourrait naître le début d’une prise de conscience stratégique, la souveraineté aussi se mesure à la manière dont on protège le portefeuille de ses citoyens.