À partir de 2027, les paiements en Argent liquide au sein de l’Union européenne ne pourront plus dépasser 10 000 euros. Cette réforme vise à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Mais dans plusieurs pays, les espèces restent un réflexe bien ancré, voire une réserve de sécurité face aux incertitudes du monde.
Dans certaines boulangeries allemandes, payer un café avec un billet de 100 euros ne fait pas sourciller. À Paris, sortir 1 500 euros en liquide pour acheter un vélo d’occasion peut en revanche susciter la méfiance, voire l’intervention d’un agent du fisc. Ces différences reflètent une réalité européenne, celle d’un continent où l’usage du cash varie considérablement selon les cultures, les lois et la confiance dans les institutions.
Mais à partir de 2027, ce paysage hétérogène va changer. Une décision actée par le Parlement européen prévoit une limitation uniforme des paiements en liquide à 10 000 euros dans l’ensemble des États membres. Derrière cette mesure, une volonté assumée, rendre les flux financiers plus traçables, plus contrôlables, dans un contexte de lutte renforcée contre la criminalité organisée.
Argent liquide en Europe, une volonté d’harmonisation
Le texte a été adopté début 2024 à Bruxelles, à l’issue de longues négociations entre les 27 États membres. Jusqu’à présent, chaque pays appliquait ses propres règles. En France, la limite est fixée à 1 000 euros pour les paiements en espèces, sauf exceptions précises (notamment entre particuliers). En Allemagne, en revanche, aucun plafond n’était imposé, ce qui attirait certains réseaux de blanchiment ou d’évasion fiscale.
En instaurant un seuil européen unique de 10 000 euros, l’UE veut combler ces failles réglementaires. Les autorités espèrent ainsi rendre plus difficile le financement occulte de trafics ou d’activités terroristes, qui s’appuient souvent sur des circuits d’argent non déclarés. L’enjeu n’est pas anodin, selon Europol, des milliards d’euros transiteraient chaque année par des circuits informels ou non traçables au sein de l’Union.
Le cash, entre méfiance bancaire et droit fondamental
Pour autant, cette décision ne signe pas la fin de l’argent liquide. Dans plusieurs pays y compris en France, il reste associé à une forme d’indépendance économique, voire de méfiance vis-à-vis des systèmes numériques. « Je préfère avoir une partie de mes économies en liquide. On ne sait jamais ce qui peut arriver avec les banques », explique Samir, retraité franco-algérien vivant à Marseille. Un discours que l’on retrouve fréquemment chez les plus âgés, mais aussi dans certaines communautés où la solidarité informelle passe encore souvent par l’échange de billets.
La crise du COVID, les tensions géopolitiques et la multiplication des cyberattaques ont aussi ravivé cette prudence. Dans les pays nordiques comme la Suède ou la Norvège, pourtant pionniers du paiement digital, les autorités ont récemment recommandé à la population de conserver un minimum de cash chez soi. Une réserve d’urgence, au cas où les systèmes électroniques viendraient à tomber.
Des usages très différents selon les pays
L’un des défis de cette réforme réside dans les écarts d’habitudes entre États membres. En Italie, en Grèce ou en Espagne, le paiement en espèces est encore très courant, parfois pour des raisons de praticité ou d’évitement fiscal. En Allemagne, il relève presque d’une tradition culturelle. À l’inverse, la Belgique, les Pays-Bas ou la France ont déjà imposé des limites strictes, en lien avec une politique active de traçabilité des transactions.
Dans certains cas, la loi autorise les paiements en espèces jusqu’à 10 000 euros, mais impose des contreparties, présentation d’une pièce d’identité obligatoire, inscription de la transaction dans un registre, voire obligation de déclaration à la cellule de lutte contre le blanchiment. Le texte européen s’inscrit donc dans une tendance existante, mais lui donne une cohérence transfrontalière.
Une réforme qui ne fait pas l’unanimité
Bien que largement soutenue par les gouvernements, la mesure fait l’objet de critiques. Certains eurodéputés dénoncent une forme de suspicion généralisée à l’égard des citoyens, ou craignent une surveillance excessive. D’autres y voient une étape vers une société « sans cash » imposée sans réel débat démocratique.
Des associations de défense des libertés individuelles alertent également sur les conséquences pour les personnes non bancarisées, souvent issues de milieux précaires ou de l’immigration, qui risquent d’être marginalisées dans un système 100 % numérique. En France, environ 500 000 personnes ne possèdent pas de compte bancaire, selon les dernières données de la Banque de France.
À partir de 2027, l’Union européenne franchira une nouvelle étape vers la traçabilité financière. Si la limite de 10 000 euros en argent liquide peut sembler généreuse pour certains, elle symbolise surtout une volonté politique de réduire les zones grises, dans un monde où le financement occulte ne connaît pas de frontières.
Mais la réforme pose aussi une question plus large, comment concilier sécurité, liberté et inclusion dans un monde de plus en plus numérisé ? Le cash, bien qu’en déclin, reste pour beaucoup une valeur refuge, un outil d’autonomie, voire de dignité. Reste à savoir si les institutions européennes sauront rassurer et accompagner les citoyens dans cette mutation silencieuse, mais décisive.