Des travailleurs algériens exploités chez Carrefour dénoncent un système de racket dissimulé sous des promesses d’embauche et de régularisation. À Villeneuve-la-Garenne, ces sans-papiers réclament justice, après avoir payé cher l’illusion d’un contrat et d’un avenir stable en France.
C’est dans l’anonymat que tout commence. Arrivés en France, ces hommes espéraient s’intégrer par le travail. Parmi eux, de nombreux Algériens ont vu dans l’hypermarché Carrefour de Villeneuve-la-Garenne une opportunité de changer leur situation. En réalité, ils y ont découvert un engrenage bien rodé où leur statut précaire les rendait vulnérables à toutes les dérives.
Ils sont une douzaine, parfois moins visibles, parfois ignorés. Mais, depuis plusieurs semaines, ils ont décidé de ne plus se taire. Installés en grève devant le centre commercial Qwartz, ils dénoncent ce qu’ils appellent un « racket organisé » au sein même de leur lieu de travail. Payés au SMIC malgré la promesse d’un CDI à 2 000 € nets, certains disent avoir versé jusqu’à 3 700 euros à des « intermédiaires », en échange d’un contrat jamais honoré.
Les Algériens exploités chez Carrefour révèlent un système à double vitesse
Le mot « exploitation » n’est pas utilisé à la légère. À Carrefour Villeneuve-la-Garenne, plusieurs travailleurs sans-papiers témoignent avoir été poussés à payer pour espérer un contrat de travail stable et une régularisation administrative. D’abord séduits par la promesse d’un CDI et d’un salaire correct, ils se sont vite retrouvés face à une réalité bien différente.
Les contrats étaient en réalité des contrats de professionnalisation. La paie, le strict minimum légal. Quant aux promesses de régularisation, elles n’ont jamais dépassé le stade de discours officieux. Un responsable de magasin, selon les témoignages relayés par le quotidien français « Libération« , aurait même exigé de l’argent ou des « cadeaux » sous peine de licenciement ou de dénonciation. La situation a dégénéré lorsque les salariés ont commencé à dénoncer publiquement ces pratiques, parfois en contactant directement les ressources humaines nationales du groupe.
La réaction de l’enseigne ne s’est pas fait attendre : licenciements rapides, évoquant l’absence de titres de séjour valides. La direction a toutefois reconnu l’existence de « négligences graves » et annoncé des procédures disciplinaires internes. Elle affirme avoir versé des indemnités et propose une réembauche… conditionnée à la régularisation du statut administratif.

Racket promesses et conditions de travail précaires au quotidien
Travailler sans papiers en France n’est jamais sans risque, mais dans ce cas précis, les témoignages révèlent une organisation bien plus préoccupante. Ces employés, originaires majoritairement d’Algérie et du Maroc, ont été orientés vers Carrefour par des intermédiaires. Ces derniers leur ont promis monts et merveilles, contre des sommes allant de 2 000 à 2 500 euros.
Sur place, ils ont été affectés aux tâches les plus pénibles : port de charges lourdes dès 5 heures du matin, manutention répétée de palettes de boissons, pression constante pour « aller plus vite ». Certains souffrent aujourd’hui de douleurs physiques chroniques, « Tous les jours, on nous demande d’en faire plus, d’aller toujours plus vite alors qu’on est fatigués et qu’on souffre physiquement à cause des charges lourdes. Beaucoup d’entre nous ont mal au dos » témoigne Yassine Bouyha . Malgré cela, ils ont tenu bon, dans l’espoir d’une embauche stable. L’un d’eux explique avoir « porté jusqu’à 17 palettes par jour » pour remplir les rayons. D’autres parlent d’épuisement moral et de peur constante.
Le lien de dépendance entre ces travailleurs et leurs supérieurs aurait été renforcé par des menaces implicites : pas de régularisation sans soumission, pas de CDI sans « contribution ». Lorsque ces salariés ont alerté les syndicats, notamment la CGT, l’affaire a éclaté au grand jour. Le syndicat parle aujourd’hui de « travail dissimulé » et d’atteinte à la dignité des personnes.
Les lanceurs d’alerte sanctionnés plutôt que protégés
L’affaire a pris une tournure particulière lorsqu’on apprend que les travailleurs licenciés avaient tenté d’alerter la direction sur leurs conditions de travail. D’après la CGT, ils auraient signalé les abus 72 heures avant leur mise à pied. Malgré leur statut de lanceurs d’alerte, ils ont été renvoyés sous 48 heures.
Dans un tract distribué lors de la mobilisation, la CGT dénonce une logique de représailles : « Quand les salariés parlent, Carrefour licencie. » Le syndicat réclame désormais leur réintégration et l’accompagnement effectif dans les démarches administratives, notamment pour les demandes de régularisation. De son côté, Carrefour affirme dans un communiqué avoir agi dans les règles en versant trois mois d’indemnités et en conditionnant tout retour à une situation administrative claire.
« Conformément à la réglementation en vigueur, Carrefour n’a pas d’autre choix que de résilier les contrats de ces employés. Néanmoins, Carrefour a rempli ses obligations dans les conditions les plus protectrices pour les salariés concernés, en leur versant une indemnité équivalente à au moins trois mois de salaire. De plus, une promesse de réembauche a été réalisée auprès de ces employés, sous réserve de la régularisation de leur situation administrative ».
La chaîne de distribution assure également collaborer avec l’Inspection du travail et envisager des actions en justice contre les responsables internes, si les faits sont avérés. Mais, du côté des salariés concernés, le doute persiste sur la volonté réelle de changement.
En attendant que la justice fasse la lumière sur cette affaire, les travailleurs sans-papiers restent postés devant les portes du supermarché. Gilets bleus sur le dos, pancartes à la main, ils poursuivent leur mobilisation. À la fois symbole d’une lutte contre l’exploitation et rappel brutal des failles du système, leur présence est un appel silencieux, mais persistant, à revoir les règles du jeu.